Morose, Elyon laissait traîner sa carcasse du côté du port de Bois-Doré. Ces derniers temps, rien ne sortait de sa plume et cela laissait la Dryade complètement démunie. La plume, c'était un peu comme une extension d'elle-même et écrire lui était aussi facile que de parler, coucher les mots sur le parchemin se faisait sans effort. Comment pouvait-elle ne rien écrire ? Assise au bout de la jetée, le bout des pied trempant dans l'eau, non loin du lieu où Aaron et Lucila s'étaient dit oui, elle regardait le fond de l'eau et les petits poissons qui y nageaient.
Elle ne pensait pas aux jeunes mariés. Elle avait parfois des pensées fugaces pour Yngvar. Lui manquait-il ? Oui, peut-être. Elle se sentait encore trop en colère pour ressentir du manque. Elle ne tolérait pas le comportement qu'il avait eu l'autre soir, encore moins qu'il ai divulgué une chose aussi intime sur elle, mais fermée au dialogue elle fuyait l'explication. Elle n'avait pas forcément envie de l'entendre d'un satyre aux moeurs légères. Se persuader qu'Yngvar était cela, c'était beaucoup plus facile que d'accepter qu'il puisse ne pas être pleinement heureux avec elle, et partager des opinions différentes des siennes.

Elle avait fini par se replier, petit à petit, dans sa solitude, se plongeant dans le travail mais sans grand succès. Elle ne pensait qu'à cette taxe qu'on lui demandait de payer, chose qu'elle avait refusé de faire. N'ayant pas vu Irmine pendant près d'une semaine, ce qui avait constitué un record en soi, elle n'avait eu personne avec qui en parler, mais elle voyait gros comme une maison que la Naïade allait la payer pour ne pas avoir de problèmes, mais si la somme qu'on lui demandait était exorbitante en raison de son taux d'hybridation. Avant toute chose, c'était injuste.

La Dryade se releva et croisa le regard d'une jeune sorcier qu'elle pensait avoir vu quelque-part. Effectivement, mais elle était beaucoup plus enjouée ce jour-là, elle avait même eu un échange presque philosophique avec lui, mais elle ne semblait pas s'en souvenir.

- C'est possible. J'ai du vous dédicacer un livre, avant que ces enfoirés ne les brûlent.

Elle n'avait que faire de la portée de ses propos et de savoir de quel bord était l'adolescent. Qu'ils essayent ! Elle ne s'était jamais caché de ses opinions et ne se cacherait jamais.

D'humeur massacrante, Elyon ne cherchait pas à dissimuler son état, d'autant plus devant une personne qu'elle ne connaissait pas. Que l'adolescent s'offusque, cela ne lui faisait pas grand chose et elle était bien décidée à continuer sa route sans changer ses plans. Quels étaient-ils d'ailleurs ? Marcher, continuer tout droit. Faire un truc ... Utile ! Ah bon sang, comment trouver les rebelles ? Comment entrer en contact avec eux ? Avec celui qui parlait à la radio ... Avec celui qui se faisait appeler Richard ? Elle manquait d'idées.

Et le babillage incessant de l'autre la déconcentrait. Elle s'agaça, soupira et se retourna pour lui faire face. Il était beaucoup plus grand qu'elle en dépit de son jeune âge, mais elle n'en était pas moins impressionnante. Elyon dégageait une aura plutôt foncée en cet instant.

-Déjà je n'ai jamais lu vos livres. Mais je comptais le faire à la rentrée. Je sais qu'ils ont dû être brûler mais j'arriverais bien à en trouver un qui ne l'a pas été. Ensuite on s'est croisé ici-même, sur un banc, il y a quelques mois. Vous ne vous souvenez pas?

- Aucune chance ! Répondit-elle du tac-au-tac. Ils ont été confisqués et détruit. Des gens de la milice sont venus chez moi et ont perquisitionné, ils ont pris mes manuscrits. Je n'ai plus rien, hormis mes foutus travaux de traduction.

Elle plissa les yeux et sembla essayer de le remettre mais elle n'y parvint pas.

- Non. Désolée mais non. J'ai la tête pleine de problèmes.

Le fait même qu'il ait exprimé le souhait de lire ses écrits aurait du la toucher. Depuis toujours, Elyon clamait haut et fort qu'elle continuerait à écrire tant qu'il y aurait quelqu'un pour apprécier ses histoires, mais ce qu'elle vivait en ce moment l'avait rendue aigrie et elle ne croyait plus en ce pour quoi elle était faite.

- Fait attention, il ne fait pas bon déclarer vouloir lire des livres censurés ces temps.

Elyon trouvait le jeune homme bien imprudent, mais elle ne l'était pas elle-même. Elle avait l'impression de se revoir au même âge, dans les temps troublés de Poudlard. Elle n'était pas la dernière à se mettre dans les ennuis jusqu'au cou pour ses convictions ... Et ça allait bien plus loin que lire des livres interdits. Heureusement, dans ce pays, on allait pas en prison pour avoir des opinions différentes. Pas encore. Si Elyon était pessimiste, c'était parce qu'elle avait déjà vécu un conflit similaire. Souvent, elle se demandait pourquoi elle était encore en France ... Puis elle pensait à Jenna, à sa famille, mais aussi à Irmine et à ses nouveaux amis en France. Même cet imbécile de Goulven allait lui manquer. Passé le choc de la première rencontre, la Dryade avait fini par le trouver sympathique même si elle s'en méfiait toujours. D'ailleurs, elle préférerait qu'on lui arrache la langue et qu'on la fasse frire, plutôt que de l'avouer.

Elle fît un bref signe de tête au jeune homme et le gratifia d'une tape sur l'épaule puis le dépassa, avança de quelques pas et se retourna subitement vers lui.

- Merci. Cela me peine grandement d'être censurée, mais je suis contente de savoir que quelqu'un veuille lire mes livres.

Elle lui fît un sourire timide et s'éloigna.