[HJ soundtrack : M83 - Skin of the night
https://www.youtube.com/watch?v=v4Pg-2LP76g ]

La fête battait son plein sur la Grande Place du village, plusieurs sorciers et sorcières continuaient d’arriver de tous les coins pour se joindre aux festivités et aux danses endiablées. Parmi cette foule, deux silhouettes allaient dans le sens contraire de la foule, s’en dégageant avec quelques difficultés.
Ayant atteint une rue un peu moins fréquentée, Irmine s’arrêta une seconde pour laisser à Goulven le temps de la rattraper. Ce dernier avait accepté sa proposition, à la grande joie de la jeune femme.

Lorsqu’il l’eut rejoint, elle lui fit un sourire plus détendu que tous ceux de cette soirée jusque-là.

- On respire mieux ainsi, tu ne trouves pas ?

La jeune femme se remit tranquillement en marche, son ami à ses côtés. Celui-ci s’enquit alors de leur destination, et la naïade hésita à la lui donner…mais elle se contenta d’un sourire énigmatique. Plus ils s’éloignaient de la cohue, et plus son humeur s’allégeait, aussi elle comptait bien garder la surprise jusqu’au bout.

Irmine attendit qu’ils soient parvenus à une ruelle déserte, juste à l’entrée du village, pour s’arrêter à l’abri des regards, car elle tenait à ne pas éveiller l’attention d’éventuels badauds. Elle ne se laissa pas le temps de réfléchir plus longtemps à l’aplomb dont elle faisait preuve en cet instant, sinon elle risquait de ne pas oser ce qu’elle avait en tête.
La naïade prit la main de Goulven dans la sienne, et sans lui laisser le temps de poser la moindre question, elle lui ordonna avec un sourire :

- Accroche-toi, je ne t’emmène pas loin.

Aussitôt, Irmine opéra un transplanage d’escorte qui les transporta au sommet de la tour central du palais de Beauxbâtons. De là, la vue était à couper le souffle, et l’on apercevait les lumières de la fête à Bois-Doré, qui donnaient un aspect féérique au paysage saupoudré de neige artificielle. S’éloigner de cette dernière permit à Irmine de relâcher sa concentration sur les sortilèges d'Impervus qu’elle s’était lancés et de les laisser se dissiper discrètement. La jeune femme eut l’impression de pouvoir enfin souffler pour la première fois de la soirée.

La naïade laissa un instant à Goulven pour réaliser où ils se trouvaient et elle lui lança un regard amusé, sachant qu’il ne s’était sûrement pas attendu à une telle destination. Elle prit soudainement conscience que sa main tenait toujours celle du jeune homme, et elle la retira délicatement tout en détournant les yeux vers la vue, puis elle s’avança vers le parapet auquel elle s’accouda.

- J’ai préféré prendre un raccourci, car je ne suis pas sensée amener de visiteurs dans l’enceinte de l’Académie sans une raison valable et annoncée.

Le panorama était enchanteur et, comme toujours, la jeune femme prit une seconde pour lever les yeux vers la voûte céleste. Ce soir-là, le ciel était dégagé et les étoiles brillaient de tout leur éclat. Perdue un instant dans sa contemplation, Irmine revint rapidement à la réalité et son regard accrocha à nouveau celui de Goulven.

- Je n’ai plus besoin de te préciser de quelle bibliothèque je suis responsable., commenta-t-elle avec un petit sourire, J’imagine que tu connais ce palais aussi bien que tous les élèves, mais j’ai pensé qu’une visite de nuit et de l’envers du décor te plairait probablement.

Irmine avait soudainement envie de faire découvrir un peu de son univers à Goulven.

Irmine semblait plus à son aise loin de l’agitation de la fête et Goulven n’en fût pas surpris. Il connaissait cet aspect de la bibliothécaire réservée et était même presque rassuré de le voir à nouveau. Toujours curieux cependant de l’endroit où elle allait l’emmener, il ne parvint pas à dissimuler sa surprise lorsqu’elle lui saisit la main et les fît transplaner sans crier gare, dans un endroit aux allures féériques. Goulven resta sans voix, elle n’avait pas encore fini de le surprendre ce soir.
Là où ils étaient, il ne neigeait pas mais on la voyait tomber au loin sur Bois-Doré, et la jeune femme était nettement plus détendue que lorsqu’ils étaient au village même une fois sortis de la foule. Goulven était bouche bée, revenir à l’Académie, c’était comme revenir dix ans en arrière lorsque sa vie n’était qu’insouciance … Il ne pensait même plus qu’il avait encore sa main dans la sienne et s’en aperçut seulement quand elle la retira pour s’éloigner de lui. Sans rien dire, il la rejoint pour s’accouder au garde-corps qui les séparait du vide.

« Pas de problèmes, je ne dirais rien »
… fît-il à sa remarque.

Il devina bien sûr dans quelle bibliothèque elle travaillait et du même coup ce qui l’avait amenée à se trouver à Bois-Doré ce soir. Goulven retrouva le sourire qu’il avait perdu sous la surprise et balaya les environs du regard. Chaque recoin de l’école lui rappelait un souvenir plus ou moins bon, tout lui évoquait quelque-chose ! Il avait passé sept années entre ses murs. Quand il était arrivé, il n’était qu’un enfant mais il en était ressorti en tant qu’homme, l’Académie avait une place à part dans le cœur de tous les sorciers de France.

« Revenir ici après toutes ces années c’est incroyable. J’ai l’impression de n’être jamais parti, et pourtant cela fait dix ans que je n’ai pas remis les pieds ici … »


Irmine ne s’était pas trompée en pensant que revenir sur l’endroit qui l’avait vu grandir lui plairait, et il détacha les yeux du paysage pour la regarder.

« Tu es quelqu’un d’incroyable. Vraiment … de vraiment surprenant. »


Il reporta son regard dans les environs. Goulven regardait non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps, comme si les souvenirs se superposaient à la réalité. Il était souvent venu dans cet endroit quand il était élève et revenir là lui faisait un drôle d’effet. Il entendait presque des gens parler, la voix autoritaire d’Olympe Maxime, et les consignes de Granville données chaque année aux délégués … il n’y avait pas tellement de mots pour décrire l’état dans lequel il se trouvait.

Le sorcier du Grand Conseil était perdu dans ses pensées. Parfois ses expressions se teintaient d’amertume, parfois les coins de ses lèvres remontaient légèrement quand il se rappelait de quelque-chose de plaisant. S’il était physiquement là, il n’était plus en 2014 à côté d’Irmine …
Après son voyage dans le temps il retrouva ses esprits et reconsidéra son amie.

« Tu sais ce qui est incroyable ? C’est à quel point c’est silencieux. Je crois que je n’ai jamais connu ça : l’Académie est déserte, je ne l’ai jamais vue comme telle … »


Il accrocha à nouveau son regard dans lequel on pouvait voir une sorte d’émotion.

« Merci … de partager ça avec moi. »


Il avait conscience qu’en lui révélant l’endroit où elle vivait, il avait passé un autre cap dans la confiance qu’elle pouvait lui accorder, elle qui avait même hésité à lui dire son nom lors de leur première rencontre. Il eut soudain un rire amusé.

« Tu te rappelles à Paris quand tu m’as parlé de mes exploits en étude des objets magiques ? Ne me dit pas qu’il en reste des traces … »

Ce jour-là, Goulven avait juste failli tuer toute sa classe …

Irmine était ravie de l'effet que cette surprise avait sur Goulven. A voir sa tête, le jeune homme passait probablement par la même gamme d'émotions qu'avaient été les siennes lorsqu'elle était revenue à l'Académie en tant qu'employée il y avait un an de cela. Revenir à l'endroit où l'on avait passé 7 années de sa vie, d'autant plus ses jeunes années qui étaient synonymes de nombreux changements, cela ne pouvait laisser indifférent...ou en tout cas pas une personne à l'âme un tant soit peu poétique. De plus, l'avocat lui avait paru garder de très bons souvenirs de sa scolarité lorsqu'ils l'avaient évoquée à Paris.

Irmine profitait également de la vue offerte par les hauteurs du palais. Si Beauxbâtons n'était pas le lieu qui l'avait vu la plus heureuse, du moins s'y était-elle toujours sentie en sécurité, sentiment qu'il était difficile de susciter chez la jeune femme. Elle aussi avait de bons souvenirs, et la position qu'elle y occupait désormais était satisfaisante en soi. Irmine avait ses marques dans ce lieu, et cela aidait grandement à la faire se sentir assez à l'aise pour conserver son sourire.

Goulven, quant à lui, se laissa même aller à lui faire un compliment. Lors de leur première ou deuxième rencontre, Irmine aurait refusé une telle remarque de sa part et l'aurait probablement rembarré, mais les choses étaient différentes entre eux désormais. Avec lui, elle perdait un peu de cette défensive sur laquelle elle était constamment. Toutefois, légèrement embarrassée malgré tout, elle répondit avec un rire gêné :

- Ce n'était pas difficile de te surprendre, tu ne pouvais pas deviner que je travaille ici.

Irmine put observer Goulven tout à loisir, lorsque l'esprit de celui-ci s'échappa vers ses souvenirs de jeunesse. Elle lui jeta des regards à la dérobée, faisant mine d'admirer les constellations, alors qu'en réalité elle épiait les émotions qui passaient sur le visage du jeune homme. On pouvait y lire comme dans un livre ouvert...des joies, des peines, des rires passés, tout ce qui avait dû rythmer sa vie d'adolescent. Un instant, Irmine se demanda s'ils auraient déjà pu s'entendre à cette époque. S'ils avaient été présentés par leur connaissance commune, si un professeur avait un jour décidé de les mettre ensemble sur un devoir, s'ils s'étaient croisés à ce même endroit où ils se tenaient à présent par une soirée telle que celle-ci...seraient-ils devenus amis ?

Elle n'eut pas vraiment le temps de pousser ses réflexions plus loin, car déjà les yeux bleus du jeune homme se portaient à nouveau sur elle et il exprimait cette grande différence qui résidait dans une visite de Beauxbâtons de nuit à l'âge adulte. Irmine hocha la tête avec un air de compréhension.

- Oui, cela m'a fait le même effet lorsque j'ai emménagé l'année passée. C'est toujours le même Beauxbâtons, tout en étant différent à la fois...

Irmine voyait parfaitement de quoi Goulven voulait parler, et l'émotion qu'elle put déceler dans son regard lorsqu'il la remercia de ce cadeau qu'elle lui faisait la toucha profondément. Il semblait avoir parfaitement conscience que dévoiler ainsi son lieu de résidence lui demandait un certain effort, afin de mettre sa méfiance - ou prudence, selon les points de vue - de côté. Sans oublier qu'elle prenait le risque d'un blâme, si jamais elle était découverte en train de faire visiter l'Académie sans autorisation. Tout cela pour ce jeune homme qu'au final elle ne connaissait que depuis peu, mais qui avait su susciter assez d'intérêt en elle pour la faire sortir hors de ses sentiers battus.

- Je t'en prie., répondit-elle simplement.

Irmine en disait bien plus par ce qu'elle taisait généralement, et cet instant entre eux ne faisait pas exception. La barrière invisible qu'elle avait dressée était toujours présente, mais petit à petit et relativement inconsciemment, elle se faisait moins épaisse.

- Tu te rappelles à Paris quand tu m’as parlé de mes exploits en étude des objets magiques ? Ne me dit pas qu’il en reste des traces …

Irmine éclata de rire à ce souvenir. Elle n'avait pas pensé commencer sa visite guidée par étape-là, mais puisqu'il semblait impatient d'éclaircir ce mystère, elle répondit en prenant la direction des escaliers les menant à l'intérieur :

- Tu vas pouvoir vérifier par toi-même. Suis-moi !

La jeune femme les dirigea dans les étages avec des précautions de discrétion justifiées par l'interdit qui flottait au-dessus de cette escapade. Irmine avait presque l'impression d'être une adolescente à nouveau et une ambiance joueuse les accompagnait alors qu'elle lui chuchotait de ne pas faire de bruit en passant devant le bureau du Régisseur au rez-de-chaussée. Ce dernier était le seul astreint à rester dans le bâtiment afin de le surveiller pendant la fête. Autant dire qu'il n'en était pas heureux et se ferait une joie de se venger sur la moindre personne commettant un impair ce soir-là !
Finalement, ils accédèrent à la salle accueillant les cours d'Étude des objets magiques, qui se situait toujours aux sous-sols. C'était une grande crypte entourée de colonnes de pierres et une table ressemblant à un autel en son centre. Irmine y venait rarement, mais elle y avait fait un saut quelques mois auparavant pour vérifier la même question que venait de poser Goulven.

La jeune femme lui indiqua une colonne à leur gauche, qui portait les marques d'une explosion très ancienne. La trace n'était pas visible si l'on ne s'en approchait pas, mais une fois devant, on pouvait constater qu'il restait une nette empreinte des exploits de l'avocat.

- Ce qui est certain, c'est que tu as laissé une trace indélébile à Beauxbâtons. commenta-t-elle avec humour.

Elle s'approcha elle aussi de la colonne et posa sa main dessus.

- Je ne sais pas comment tu as fait. Honnêtement, tu n'étais pas concentré à ce moment-là ? Ce n'est pas possible autrement...

Goulven aurait pensé à n’importe quel endroit, mais pas celui-ci. Pourtant, maintenant qu’il y pensait, il n’aurait pas pu l’imaginer à la grande bibliothèque de Brocéliande ou aux archives du Grand Conseil … Ici elle avait l’air complètement différent. Elle souriait, riait même … Il avait l’impression qu’il avait encore tellement à découvrir et à apprendre d’elle que sa curiosité n’en était que plus excitée.

« C’est vrai, mais  maintenant que nous sommes là, j’avoue que j’ai beaucoup de mal à penser que tu aurais pu être ailleurs. »

Mais il apprit qu’elle était là depuis un an. Il se demanda du coup où elle était avant mais il ne lui posa pas la question, il savait maintenant qu’il saurait bien à un moment donné ce qu’il voulait savoir, mais c’était à elle de se dévoiler, ou pas. A chaque nouvelle rencontre, elle se dévoilait un peu plus et à chaque fois il la découvrait un peu plus, elle lui plaisait beaucoup plus. Savoir qu’elle était ici la plupart du temps lui donnait une dimension concrète … Il lui serait encore plus facile de se l’imaginer maintenant quand il penserait à elle.
A chaque fois, il l’aimait un peu plus.

Son rire chanta à ses oreilles et il rit avec elle. Qui aurait pu le croire ? Leur amitié était bien mal partie lorsqu’ils s’étaient rencontrés dans les jardins du Grand Conseil pour la première fois. Cette fois où il l’avait suivie de manière délibérée et où il lui avait de façon tout à fait idiote qu’elle lui plaisait. C’était peut-être un peu prématuré d’ailleurs, mais depuis ce jour, son opinion n’avait pas changé. Elle se souvenait de quoi il voulait parler et lui proposa même de lui montrer ! Alors Goulven s’arracha des hauteurs et la suivit. Cette petite escapade dans les couloirs de Beauxbâtons lui rappelait des bêtises d’adolescent. Une fois, il s’était échappé des quartiers de Cerva pour aller retrouver Lucila, une autre pour prendre une première cuite avec Jared. Dans aucun des cas il ne s’était fait attraper, et heureusement car il était délégué et aurait pu avoir des gros problèmes.

Goulven était bon dans la plupart des matières sauf celles qui demandaient un peu de doigté. En étude des objets magiques, il avait été particulièrement médiocre, bien qu’il déploie des efforts immenses pour y arriver. La trace de son talent était toujours là et il aurait pu en être fier s’il n’avait pas failli tuer trois personnes ce jour-là.

Il posa sa main sur la colonne près de celle d’Irmine et dit, toujours le sourire aux lèvres.

« Pourtant je travaillais drôlement dur, cette matière-là plus que les autres. Mais même notre professeur pensait que je le faisais exprès. Je n’avais aucun talent je crois … Aucune logique, je n’en sais rien. Je n’étais juste pas fait pour … fabriquer des chandeliers auto-allumant et des choses comme cela. Moi, je préférai l’Histoire. »

Il n’apprendrait certainement pas grand-chose à Irmine en lui disant cela, mais puisqu’ils étaient parti à discuter du temps d’avant …

« Et c’est tout même émouvant de voir que j’ai au moins marqué celle de Beauxbâtons ! Quand ils regardent cette trace nos contemporains se souviennent qu’il y a un jour un Cerva qui a failli les tuer. Et les élèves des générations suivante verront la même chose, ma nullité deviendra même une légende dans quelques décennie ! C’est merveilleux ! » Dit-il en riant.

Bien que profondément vexé à l’époque, Goulven en riait maintenant de bon cœur. Il avait gagné en maturité et réalisé qu’on ne pouvait pas être bon en tout, voir même être carrément mauvais dans certains domaines et pourtant pouvoir faire quelque-chose de sa vie. Mais cela avait été une chose difficile à intégrer, avec des parents qui prônaient l’excellence en toutes circonstances, même sa mère.
Il s’éloigna un peu de la colonne et alla s’assoir machinalement à la place qu’il prenait tout le temps dans cette salle quand il y venait pour les cours. Elle était située au milieu de la pièce.

« Je me mettais-là parce que c’était le meilleur moyen de faire à peu près ce qu’on voulait : les professeurs surveillent toujours ceux qui sont au fond … et regardent les lèche-botte du premier rang. »

Le pire c’était bien sûr qu’il utilisait cette astuce encore aujourd’hui dans le cadre de son travail, lorsqu’il s’agissait d’assister à des audiences, de prendre des notes et parfois d’émettre des avis, chose que l’avocat ne souhaitait surtout pas faire. Mais maintenant il serait obligé de prendre position lors de ces audiences, en défendant son client … Goulven avait encore bien du mal à réaliser tout cela. Ce qui avait été vu comme une fin en soi pendant des années était en réalité juste un nouveau départ et il aurait toujours des preuves à faire.

Il regarda de nouveau sa guide et lui envoya un sourire depuis sa place.

« Et toi ? Y avait-il un endroit plus que les autres où tu aimais aller ? A part la bibliothèque bien sûr … J’imagine que tu devais y passer la plupart de ton temps … »

Il laissa sa phrase en suspens sans pour autant réaliser ce qu’il était en train de dire, c’était juste qu’une fois de plus les images d’Irmine et de « la fille qui lit » se superposaient dans son esprit. L’image de « la fille qui lit » se posait sur elle comme un voile et il ne l’interprétait pas de la bonne manière. Qu’importe ? La finalité serait la même.

« Gardons le meilleur pour la fin. »

Il voulait aussi savoir autre chose d’elle …

Irmine riait encore à l’évocation de ce souvenir commun qu’était celui des cours d’étude des objets magiques. Elle-même, en Noctua qui se respecte, l’avait pris en supplément des deux options obligatoires en 6ème. C’est vrai que cela n’avait pas été le cours le plus passionnant de son cursus, mais il s’était révélé un peu utile pour ses études universitaires lorsqu’ils avaient abordés le chapitre des baguettes magiques. Et elle n’était pas surprise d’apprendre quelle était la matière préférée de Goulven, il lui avait déjà paru avoir un intérêt marqué pour celle-ci lors de leur première rencontre.

- Chacun sa façon de laisser une trace. De là à devenir une légende… Si tu veux, je peux m’en assurer en les prévenant des dangers des armoires à disparaître et en leur contant l’histoire de ce 6ème qui avait prévu de commettre un attentat en plein cours. Les mythes sont toujours enjolivés d’une quelconque manière.

Goulven alla s’asseoir, retrouvant sa vieille place d’élève, tandis qu’Irmine faisait un tour de la salle. Elle lui fit à nouveau face, à la place où se tenait habituellement le professeur, au moment où il faisait sa remarque sur le placement stratégique à prendre dans une classe. Elle ne fit pas de commentaire et le laissa continuer d’exposer l'image qu'il avait d'elle, c'est-à-dire celle d'un rat de bibliothèque. Il n'avait pas tort sur ce point-là au moins.

A la fin de sa question, elle s'avança vers les tables des élèves et prit place sur un siège au premier, dos au tableau et face à Goulven.

- Evidemment que j'y allais souvent, c'est ce que font en général les "les lèche-bottes du premier rang", n'est-ce pas ?, répondit-elle d'un ton railleur. Nous autres, les élèves modèles, ne pouvions passer une journée sans aller se cacher derrière une pile de bouquins poussiéreux, c'est bien connu !

Irmine n'était nullement vexée, au contraire, cette image que Goulven venait de lui renvoyer des élèves du premier rang, dont elle faisait partie à l'époque, la faisait rire. Elle avait été ce stéréotype de l'étudiante modèle, le côté lèche-botte en moins. Jeune fille, elle s'asseyait toujours au premier rang afin de ne pas perdre une miette des cours, préférant éviter le fond avec les cancres et le milieu avec les rêveurs moyennement dissipés. A nouveau, une Noctua pure souche...que les professeurs avaient un peu trop tendance à mettre en binôme avec des cancres lors des travaux de groupes, espérant qu'une bonne élève aiderait d'autres moins assidus en cours à améliorer leurs moyenne. C'était d'ailleurs ainsi qu'elle connu Dorian, son ami de l'époque, et cela avait donné lieu à une dispute qui lui avait valu la seule réprimande de sa vie de la part d'Arsène, dans la bibliothèque.

- Mais il semblerait qu'on peut être un turbulent du milieu et réussir à passer une licence d'avocat malgré tout. Quelle surprise !, le taquina-t-elle encore sur le sujet.

Irmine estimant qu'ils avaient passé assez de temps dans cette salle et Goulven ayant apparemment envie de continuer sa visite des lieux, ils se levèrent et elle continua de le guider.

- Bien évidemment qu'il y avait d'autres endroits que je fréquentais. Je ne passais pas mes journées qu'à lire ! Enfin...pas toutes.

La jeune bibliothécaire prit la direction du rez-de-chaussée, en faisant un détour par la Crypte des Voix, l'endroit où les nouveaux élèves étaient répartis. Le fonctionnement de cette salle était un véritable mystère pour toute personne autre que le directeur ou la directrice de l'Académie. Irmine avait eu beau chercher dans tous les livres de la bibliothèque parlant de Beauxbâtons, elle n'avait jamais trouvé d'explication sur la provenance de ces voix qui sortaient de nulle part pour interroger les élèves et leur attribuer une guilde.

Spoiler:

Irmine prit le temps d'admirer les moulures de la voute, se remémorant cet instant qui avait décidé de son lieu de vie à l'Académie en tant qu'élève.

- Tu te souviens des questions qu'elles t'avaient posées, toi ? demanda-t-elle en se retournant pour faire face à Goulven qui avait quelques pas de retard sur elle.

Et tandis qu'il lui répondait, elle continua de les mener dans les couloirs. Un rapide crochet par les cuisines, où elle demanda au jeune homme de l'attendre devant pour éviter que les elfes ne le voient, et ils remontèrent ensuite au niveau de l'entrée - chacun avec un pain sucre qu'Irmine avaient chipés car elle mourrait de faim.
Arrivée dans le hall, la naïade hésita un instant à sortir lui montrer son endroit préféré, mais elle se ravisa, se disant qu'elle préférait garder l'extérieur pour la fin plutôt que de se lancer dans des allers-retours inutiles et peu discrets. Elle prit donc un couloir qui les mena jusqu'au théâtre. Celui-ci était plongé dans la pénombre, et après avoir bien fermé la porte derrière eux, elle agita sa baguette pour allumer les spots magiques qui étaient tournés vers la scène.

Spoiler:

- Voici mon second lieu de travail. annonça-t-elle tandis qu'ils descendaient les rangées de sièges de velours bleu.

Goulven rit encore à la remarque d’Irmine sur les élèves du premier rang.

« Ah, tu étais de ceux-là. C’est pour ça que je n’avais jamais vu ton visage alors. »


Ils ne restèrent pas dans cette salle, il la laissa la mener là où elle le voulait en se demandant quelle serait leur prochaine étape. Il fût surpris (une fois de plus), elle le mena dans la Crypte des Voix qui était certainement l’endroit qu’il avait le moins fréquenté de l’Académie et pour cause : on y passait rarement plus d’une fois. Alors cette fois-ci il prit le temps d’admirer chaque recoin de la pièce pour en mémoriser chaque détail tandis qu’Irmine lui demandait s’il se souvenait des questions que les voix lui avaient posé ce jour-là.

« Oui, je m’en rappelle … Elles m’en avaient posé trois. La première c’était "Comment fais-tu pour retenir l’eau qui file entre tes doigts ?" La seconde c’était "D’où vient le vent qui tourne ?" et la troisième "Comment passent les jours ?" … Je ne me souviens plus exactement de mes réponses par contre … c’était assez confus. Je me souviens surtout du moment où l’insigne sur mon uniforme est devenu vert … »


Il s’arrêta de parler. En fait, il se rappelait surtout de ce qu’il avait ressenti à ce moment-là. Il avait l’impression de s’être trouvé en quelques sortes. Savoir qu’il appartenait à Cerva c’était comme avoir enfin sa propre identité, et il s’était immédiatement senti fier. Mais il avait aussi songé à la déception qu’il susciterait chez son père qui était allé à Cycna et qui attendait la même chose de son fils unique.

« Je ne m’étais pas attendu à Cerva. »
confia-t-il à la Bibliothécaire. Noctua comme ma mère peut-être … Je ne sais pas. »

Il finit de prendre sa photographie mentale et suivit la jeune femme dans les couloirs en silence. Elle sembla hésiter un moment, mais il lui faisait confiance et ne fît pas de commentaires parce qu’elle connaissait l’école mieux que lui maintenant. Elle se montrait plus à lui ce soir qu’à n’importe quel autre moment partagé avec elle. Elle poussa une porte qu’il n’avait jamais passée lorsqu’il était étudiant à part pour aller voir les spectacles de fin d’année et lui dit que c’était là son second lieu de travail. Devait-il en être surpris.

« Je vois ! C’est pour cela que Purcell t’a emmené jusqu’à Paris … »

Il descendit à sa suite le long des rangées de siège et osa même monter sur l’estrade où se trouvait un magnifique piano à queue. Il posa sa main droite sur le clavier d’une manière qui démontrait que cet instrument ne lui était pas inconnu et appuya dessus pour faire un accord parfait.

« Je me souviens au moins de celui-là … »


Il décala légèrement ses doigts mais cette fois la combinaison fût moins heureuse et grinça aux oreilles quand il la fît entendre. Il rit et son rire résonna dans l’auditorium vide.

« Voilà un autre de mes talents … »
Annonça-t-il avec une fausse fierté. Heureusement, Goulven ne se prenait pas au sérieux. La musique, comme beaucoup d’autres choses avait fait partie des enseignements qu’on lui avait dispensés avant qu’il n’entre à l’école. Malheureusement, ou heureusement, il n’en restait pas grand-chose, personne n’avait réussi à lui apprendre le solfège ou à lui faire jouer un morceau correctement et ce n’était pas faute d’y avoir mis de la bonne volonté …

Il quitta des yeux le somptueux instrument et reconsidéra un moment sa guide pour la soirée avec un regard empreint de curiosité. Plus elle lui en montrait, et plus il voulait en voir.

« Bibliothécaire, chef d’orchestre … mais de quel instrument joues-tu ? Non, laisse-moi deviner. »


Il s’approcha d’elle et lui demanda la permission avec les yeux de prendre ses mains. Il les regarda soigneusement, ses doigts étaient longs et fin … cela pouvait être la flûte, ou le hautbois mais il ferait là un raccourci qui pourrait révéler sa simplicité d’esprit. Il les retourna pour avoir ses paumes les caressa avec son pouce. Son geste n’était pas celui d’un homme qui cherche à susciter l’émotion chez une jeune femme, mais il la regarda dans les yeux tous le long de sa manipulation et déroula ses longs doigts entre les siens en constatant que la pulpe de ceux de la main gauche était légèrement calleuse contrairement à celle de droite qui était douce comme du papier de soie. Quand il trouva, il sourit.

« Tu joues du violon ! »
déclara-t-il non sans fierté. Il n’avait pas eu de mal à deviner qu’une main manipulait l’archer tandis que l’autre appuyait sur des cordes. Il lui avait seulement fallu établir le lien entre l’état de ses mains et le concert qu’elle était allée voir à Paris à la Sainte-Chapelle.

« Enfin, tu connais certainement plusieurs instruments, mais le violon est celui auquel tu touches le plus souvent. Tous les jours même. »

Irmine avait écouté avec attention les questions que les voix avaient posées à Goulven, et elle aurait été curieuse de connaître les réponses, mais il ne disait pas s'en souvenir...et de toute manière, elle n'aurait pas osé demander. Ces questions, derrière leur masque d'absurdité relative, étaient faites pour connaître le caractère profond des élèves. D'une part, elle n'estimait pas en avoir besoin car son ami était assez ouvert avec elle, et d'autre part, elle n'aurait pas aimé qu'on lui pose ce genre de questions à elle.

- Cerva devait bien t'aller, je crois., répondit-elle avec un sourire.

Irmine avait elle aussi un souvenir très net du moment de l'annonce de sa guilde. Elle avait eu l'impression que l'existence de certaines capacités en elle était enfin reconnue, même si le sentiment d'appartenir quelque part, à un groupe ou une même entité, n'était jamais apparu.

Une fois dans le théâtre, Goulven n'eut pas besoin de plus d'indices pour deviner la deuxième fonction de la jeune femme à l'académie. Elle lui fit un sourire et le regarda se diriger presque immédiatement vers le piano qui trônait au centre de la scène.

- Tu en joues ?, demanda-t-elle, surprise car à Paris il n'avait communiqué que son manque de sensibilité pour la musique classique, et n'avait pas précisé si un autre style de musique avait ses faveurs.

La chef d'orchestre ne put masquer une petite grimace lorsqu'il joua un accord dissonant. Elle ne savait pas combien de cours de musique il avait suivi, mais en tout cas il ne semblait pas en avoir gardé grand chose.

- C'était...hum...expérimental, disons.

Alors qu'il lui demandait de quel instrument elle jouait, elle fut sur le point de lui répondre, mais il ne lui en laissant pas le temps et la coupa en l'enjoignant à le laisser deviner.
Intriguée par la façon dont il espérait trouver sa réponse, elle le laissa s'approcher d'elle et ne l'arrêta pas lorsqu'il prit ses mains dans les siennes. Ce contact déconcerta Irmine, qui jusque-là avait pourtant eu la sensation de mener leur étrange danse. Il joua délicatement avec ses doigts, ne lâchant pas un seul instant son regard de ses prunelles azures. La jeune femme savait qu'il était à la recherche d'une réponse et non lancé dans une manoeuvre séductrice, mais ces effleurements firent naître en elle une sensation bien particulière. Elle vit dans ses yeux l'instant où il devina quel était son instrument, et savait déjà qu'il avait trouvé juste quand il brisa le silence qui s'était installé.
A nouveau ce charmant sourire en coin ! Il semblait fier d'avoir déchiffré à la seule lecture de sa peau cet instrument qu'elle pratiquait, en effet tous les jours, celui qui lui avait toujours servi d'exutoire à toutes les émotions qu'elle renfermait.

- Tu as trouvé..., répondit-elle doucement.

Une seconde de silence, une émotion flottant dans l'air telle une bulle, fragile. Les deux jeunes gens étaient probablement plus proches qu'ils ne l'avaient jamais été jusque-là, et Irmine le réalisa soudainement.
La prise de conscience de cette proximité éclata cette bulle qui les avait entourés un instant auparavant, et la jeune femme fit un pas en arrière en retirant ses mains que Goulven n'avait pas lâchées à la fin de son exploration.
Embarrassée, le regard de la naïade se fit fuyant comme aux premiers temps. C'était comme si Goulven venait d'accéder à son monde caché par une petite porte dérobée qu'il avait secrètement trouvée, et la jeune femme avait brusquement prit peur de s'être autant ouverte au jeune homme. Qu'est-ce qui lui prenait de se laisser aller à se dévoiler ainsi ? Elle en avait trop montré d'elle-même ! Elle s'était sentie emportée dans une direction qu'elle n'avait pas décidée consciemment et elle avait besoin de retrouver un certain contrôle de ce qui était en train de se passer.

- Tu n'as pas entièrement raison., dit-elle enfin d'un ton détaché qu'elle avait perdu jusque-là, Il n'y a que le violon que je maîtrise vraiment, je joue un peu de piano, mais je n'ai qu'une connaissance vague de la pratique des autres instruments.

Incapable de rester à cette place qu'elle occupait quelques secondes plus tôt, elle fit quelques vers le piano comme pour l'admirer, alors qu'en réalité elle en profitait pour se recomposer un visage serein. 27 ans à cacher ses émotions, cela vous donne une certaine maîtrise de vous-même, aussi cela ne prit qu'un court instant à Irmine pour retrouver sa contenance.
Malgré la distance qu'elle venait de reprendre, elle ne voulait pas interrompre leur visite. Elle fit face à Goulven à nouveau et continua avec le fantôme du sourire qu'elle avait eu jusque-là.

- Je te montre les coulisses ?

Goulven rit encore à sa propre incompétence. Décidément, Irmine voyait surtout les domaines où il n’avait aucun talent ce soir ! Mais le sorcier n’en était pas gêné, bien au contraire. Alors qu’il venait de rater son accord il répondit par la négative à sa question.

« Dire que je joue du piano serait insulter tes pianistes, mais on a essayé de m’apprendre. »

Il avait maintes et maintes fois entendu Irmine parler, il avait eu l’occasion de lire ses lettres mais aussi de la regarder surtout quand elle ne s’en apercevait pas. Mais jamais il n’avait vraiment pu la toucher, c’est pourtant sans arrière-pensée qu’il avait saisi ses mains pour la connaître un peu plus. Ses mains qui autant que ses paroles pouvaient raconter une histoire. Il ne lâcha pas son regard tout le temps que dura sa lecture et seule sa concentration l’empêcha de se perdre encore dans le regard vert de la violoniste. Il avait vu juste ! Il relâcha alors sa vigilance et se noya dans ses yeux, l’espace de quelques instants. Son sourire s’affaissa même un peu, il semblait aussi surpris qu’elle par cette soudaine proximité. Il n’y avait pas que la toucher ou la regarder. Il y avait surtout la sensation de la voir se dévoiler toujours et de toucher son âme aussi un peu.
Goulven eut l’impression pendant quelques instants de réussir à retenir le filet d’eau, mais alors qu’il allait parler le regard d’Irmine s’éteignit et ses mains s’échappèrent des siennes. Il ne les lâcha pas pour autant, il laissa ses beaux et longs doigts fins glisser le long des siens et affichait un sourire rassurant.

Il n’était pas offusqué qu’elle s’éloigne bien au contraire, il était touché qu’elle l’ait laissé se rapprocher car il avait compris que ça lui en coûtait. La raison, il ne la connaissait pas et ne chercherait pas à la connaître car comme beaucoup d’autres choses elle la lui dévoilerait si elle le souhaitait.
Il la sentit reprendre contenance mais il était lui-même secoué par ce qui venait de se produire. Alors qu’elle avait le regard fuyant de nouveau le sien l’englobait littéralement, puisqu’il ne pouvait se nourrir d’elle que par ce sens-là. Elle pensait mettre une sorte de distance de sécurité entre eux mais l’avocat n’en était que plus conquis.

Elle lui proposa alors une visite des coulisses.

« Un endroit de l’Académie que je ne connais pas, alors avec joie. J’ai l’impression de découvrir tellement d’aspects de choses que je croyais connaître par cœur … » lui dit-il.

Il la suivit et comme toujours, scruta tous les endroits possibles.

« Les coulisses d’un théâtre … On croit toujours que ce n’est pas très intéressant mais c’est pourtant là qu’il se passe le plus de choses. C’est là qu’elles se préparent avant de se dévoiler à l’assistance, et de la surprendre parfois … » dit-il l’air de rien.

Il ne la regardait pas, volontairement, il semblait s’intéresser à autre chose. Puis la visite terminée, ils sortirent pour passer dans le patio où ils ne s’attardèrent pas car il était plutôt désolé en plein hiver. De plus, rester à cet endroit à la vue de tous était plutôt dangereux ! Ils choisirent alors de sortir à l’extérieur du château. Au loin on voyait comme un serpent lumineux, de l’autre côté de la mer.

« Regarde, la marche aux flambeaux a commencé, c’est dommage de l’avoir ratée, mais je trouve que c’est encore plus intéressant à regarder de loin ! » dit-il tandis qu’ils marchaient sur le mur d’enceinte qui reliaient les quartiers entre les guildes.

Il finit par s’accouder au parapet pour regarder la file de lumières qui ondulait au loin et ne dit rien pendant un moment. Cette soirée était chargée en souvenirs, forte en émotions et en avait fait naître des nouvelles dans le cœur du sorcier qui, de plus en plus, avait du mal à ne pas lui envoyer des signaux trop visibles. Il releva sa garde mais commençait à avoir du mal, après avoir tenu les mains dans les siennes, à ne pas avoir envie de recommencer. La dernière fois qu’il avait senti cela à Paris il avait pris congé d’elle … Cela avait simplifié les choses, mais là ce n’était pas possible.
Irmine n’était pas le genre de femme que l’on séduit à coup de belles paroles et de gestes tendres. En fait, elle n’était pas le genre que l’on séduit tout court, on ne pouvait que se sentir heureux lorsqu’elle acceptait de vous livrer une partie d’elle. Le plus simple c’était de ne pas s’en éprendre … Mais si Goulven avait aimé la simplicité il ne se trouverait pas là en cet instant, pas plus qu’il ne serait membre d’un gouvernement qui promulguait des idées contraires aux siennes.

Cependant, comme c’était la seule chose qu’il pouvait se permettre de faire, il détourna les yeux des flambeaux et la regarda à nouveau avec un sourire aux lèvres sans pour autant s’attarder sur ses courbes régulières et les traits fins de son visage, il vit plutôt les mains qu’il avait tenu un peu plus tôt. Mais aussi la taille sur laquelle un autre avait posé ses mains avant lui. Goulven avait du mal à ne pas se sentir jaloux juste à cause de ce simple fait mais serrant les dents il ne dit rien, Irmine n’était pas et ne serait jamais à lui quand bien même un jour ses sentiments naissant trouveraient une réponse.

Il tourna à nouveau les yeux, et se redressa prêt à faire part d’une anecdote mais avant se déplaça de quelques pas.

« Quand j’étais délégué à Cerva, » commença-t-il avec un regard amusé « On se disputait toujours avec les autres pour ne pas faire de ronde dans cette partie du château … à l’époque, il y avait une lutte sans merci qui était livrée entre Lutra et Cerva, figure-toi qu’il est arrivé qu’ils posent des pièges ici … Un jour, l’autre déléguée a glissé dans une flaque de pus de Bubobulb mélangée à du suc de Mandragore, ce n’était vraiment pas beau à voir. »

Il riait sincèrement, il ne lui était jamais arrivé d’être la victime malheureuse d’un guet-apens mais tout le monde n’avait pas eu autant de chance que lui et parfois des gens qui n’étaient même pas dans leur guilde se retrouvaient pris dans cette guerre.

« Je suppose qu’il existe toujours ce genre de rivalités ! » dit-il amusé. Il allait même jusqu’à regretter cette ambiance.

Il parlait volontairement de badinerie pour ne pas la gêner plus qu’elle ne l’avait été mais au fond de lui mourrait toujours de curiosité à son sujet. Il finit par baisser la tête, venant de céder. Mais il avait plutôt l’air de quelqu’un qui se confessait que quelqu’un qui faisait un compliment.

« Je voulais te dire aussi tout à l’heure, mais je n’en ai pas eu l’occasion … tu danses … bien. Pour autant que je puisse en juger car je suis un piètre danseur. Mais tu joues de la musique aussi … tu me surprends vraiment ce soir. Tu es quelqu’un de … »

Merveilleux, magnifique, magique, talentueux …

« Troublant. »

Il se sentit gêné par cette remarque qu’il venait de faire et se tourna légèrement.

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Visiter les coulisses donnait le répit nécessaire à Irmine pour se reprendre totalement. Elle laissa Goulven fureter un peu dans tous les coins, alors qu'il faisait des remarques sur le lieu qu'ils visitaient. La jeune femme ne l'écoutait qu'à moitié, trop prise par ses propres pensées, et par ce qu'il venait de se passer.

- Hum...oui, c'est vrai., répondit-elle vaguement en ramassant une partition qui traînait par terre et en la posant près des instruments entreposés dans un coin.

Le tour des coulisses fut rapidement terminé, et ayant besoin d'un peu d'air, la jeune femme dirigea leurs pas vers l'extérieur et les emmenèrent sur le mur d'enceinte, qui donnait une vue d'ensemble sur le parc mais également un beau point de vue sur le château.
Irmine s'accouda aux côté de Goulven et laissa son regard errer dans la pénombre. Evidemment, ses yeux furent attirés par l'étendue d'eau douce que constituait le Lac Enchanté. Comme toujours, se perdre dans la contemplation de cet environnement lui procurait une certaine paix et calmait son agitation intérieure. Elle avait prévu de terminer leur visite par une balade dans le parc et un crochet par le Lac, mais il en était hors de question désormais ! La jeune femme savait que l'attraction qu'elle éprouvait à côté de celui-ci était très forte, particulièrement quand ses émotions étaient confuses, et elle ne voulait pas risquer d'en montrer trop. Elle s'était déjà assez laissée aller pour ce soir, elle allait reprendre le dessus sur elle-même à partir de cet instant !

- Regarde, la marche aux flambeaux a commencé, c’est dommage de l’avoir ratée, mais je trouve que c’est encore plus intéressant à regarder de loin !

La bibliothécaire prit enfin le courage de se tourner à nouveau son ami, dont elle avait évité le regard depuis que leurs mains s'étaient séparées, mais celui-ci était concentré sur la colonne de lumière qui serpentait à travers Bois-Doré. Elle-même finit par admirer les illuminations, cessant ses rêveries et revenant doucement dans le moment présent. Il ne servait à rien de regretter de s'être ouverte à Goulven, ce qui était fait était fait, elle ne pourrait rien y changer. Cela ne voulait pas dire qu'elle ne pouvait pas corriger le tir à l'avenir et reprendre la prudence qui lui était naturelle.

- Oui, ce n'est pas si grave. Il y en aura d'autres.

La naïade avait dit cela d'un ton plus calme, ne se rendant pas compte du sous-entendu que sa phrase pouvait comporter.
Puis, lorsque l'avocat raconta l'anecdote sur les rivalités inter-guildes centenaires, elle rit avec lui. Rien de mieux que de parler de ce genre d'enfantillages pour détendre l'atmosphère !

- La pauvre ! L'infirmière avait dû avoir un sacré boulot.

Irmine s'accouda de côté à la rambarde pour faire face à Goulven, tout en acquiesçant à ses suppositions.

- Oui, il en existe toujours. Le Lutra et les Cycna se vouent une guerre sans merci, les Cerva s'en mêlent de temps en temps...les Noctua quant à eux restent dans leur coin à regarder tout cela de haut. Rien n'a vraiment changé à ce niveau-là. dit-elle avec un sourire entendu, Actuellement, il y a deux Lutra qui sont particulièrement doués pour imaginer toutes les bêtises possibles. Même les professeurs les appellent par le surnom donné à leur duo, et le Régisseur est en train de réfléchir à les faire surveiller de plus près. De mon côté, j'ai carrément dû bannir l'un des deux de la bibliothèque !

La bibliothécaire eut un sourire un peu las à l'évocation du Lily, et particulièrement de Sainclair, qui en revanche faisait preuve d'un sérieux étonnant lors des répétitions de l'orchestre mais dont la jeune femme se méfiait malgré tout.

Irmine était contente que la conversation reprenne un ton plus léger, et elle se disait que la gêne occasionnée précédemment était passée. Cependant, le jeune homme ne devait pas l'entendre de cette oreille, car elle le vit baisser la tête, comme s'il avait une faute à avouer.
Il avait hésité sur le mot, c'était flagrant, et Irmine ne put s'empêcher de se demander ce qu'il s'était retenu de dire, car le jeune homme ne lui avait pourtant pas donné l'impression de se retenir d'exprimer clairement ses impressions sur elle...même quand cela l'embarrassait !

Cette fois, elle ne put s'empêcher de rosir légèrement, heureusement il s'était un peu détourné d'elle et ne le verrait probablement pas. Pourquoi une telle gêne ? Avec une distance comme la sienne, tout pouvait paraître surprenant pour ses interlocuteurs ! Mais dans la bouche de Goulven, cela sonnait comme un grand compliment, et le fait qu'il soit lui-même embarrassé le confirmait. Irmine ne sut pas immédiatement quoi répondre. En réalité, entendre le jeune homme lui exprimer son impression était bien plus agréable qu'elle ne voulait bien se l'avouer...parce que le reconnaître, c'était aussi admettre que son avis comptait, et derrière cela, une raison encore bien trop dangereuse à concevoir.

Un petit silence s'était installé, et l'hybride finit par le briser.
- En fait...j'ai beaucoup de temps pour moi. Alors...hum...ça me laisse du temps pour apprendre des choses. commença-t-elle, comme s'il était nécessaire de se justifier, Et puis, à la base, je n'ai pas eu le choix d'apprendre le violon.

Irmine s'interrompit après ce nouvel aveu, se tournant légèrement comme pour admirer la vue alors qu'il n'en était rien. Cependant, son regard se tourna rapidement de nouveau vers Goulven et avoua, avec un léger sourire :

- Toi aussi tu m'as surprise ce soir. Je ne savais pas si je te reverrai bientôt...et je n'avais pas imaginé que tu serais devenu avocat entre-temps !

En vérité, elle avait été agréablement surprise, car à Paris elle avait eu l'impression que le jeune homme n'avait fait que lancer des paroles en l'air. Elle était surtout contente pour lui : atteindre son rêve, quelle chance !
Irmine ressentait qu'il était à nouveau temps de bouger, si elle voulait ne pas déraper encore une fois, cependant l'étape qui leur restait la faisait hésiter. La sorcière estimait que c'était de loin la pièce la plus intéressante de l'Académie, mais cela impliquait également de le faire entrer de plein pieds dans son monde, chose qu'elle avait voulu éviter. Toutefois, ce dilemme interne se résolut rapidement : il connaissait ce lieu, évidemment pas aussi bien qu'elle, mais il avait dû y passer plusieurs heures lui aussi.

- Il nous reste encore un endroit à visiter, il me semble que tu avais très envie de le revoir., dit-elle avec un sourire.

Il devait pertinemment savoir où ils allaient, et ils arrivèrent rapidement devant deux lourdes portes en bois. Irmine pointa sa baguette et chuchota une formule de déverrouillage, puis poussant sans bruit les portes, elle entra à la suite de Goulven et referma les battants derrière eux.
La pièce était plongée dans la pénombre la plus complète, et Irmine ne l'éclaira pas immédiatement, avant cela il y avait une précaution à prendre. Elle se dirigea d'instinct en direction des immenses fenêtres, connaissant chaque centimètre de de cette salle par coeur et n'ayant pas besoin d'y voir clair pour se repérer, et elle ferma tous les rideaux d'un coup de baguette. S'en suivit un nouveau geste de la main et les lampes à huiles s'illuminèrent doucement, donnant une ambiance tamisée à la bibliothèque de Beauxbâtons.

Spoiler:

Irmine revint d'un pas tranquille vers Goulven, le laissant s'imprégner de ce qui était littéralement devenu l'antre de la jeune naïade.

Merveilleuse, magnifique, magique, talentueuse, troublante, en fait, aucun de ces qualificatifs ne lui correspondaient. Il avait beau en chercher un plus exact, qui lui irait mieux, il ne voyait pas. En cet instant l’avocat était plus que confus et gêné parce qu’il n’arrivait pas à poser des mots sur ce qu’il avait envie de dire. C’était bien la première fois que son vocabulaire était en berne et cela le perturbait beaucoup, c’était bien manifeste de sa confusion intérieure.

Après un silence court mais remarquable, la bibliothécaire, contre toute attente continua à parler d’elle. De façon anecdotique, certes, mais elle ne mit pas la même distance après avoir lâché ses mains et cela Goulven ne put s’empêcher de le noter. Il écoutait bien plus ses gestes que ses mots. La remarque qu’elle lui fît l’étonna.


« Ah vraiment ? »

L’avait-elle pris pour un beau parleur, quelqu’un qui ne tient pas ses engagements ? Si elle l’avait connu un peu plus elle aurait su que ce qu’avait promis Goulven ce soir-là à Paris était on ne peut plus sérieux et qu’il avait eu l’intention de s’y tenir dès lors qu’il lui avait dit qu’il serait avocat la prochaine fois qu’ils se verraient. Alors certes, il avait été vite pour passer l’examen barreau sorcier.


« C’est qu’il me tardait de te revoir ! »

Il rit en se moquant de lui-même, ayant pris un ton séducteur volontairement exagéré.


« Je plaisante, l’occasion s’est présentée très vite et je l’ai saisie, c’est tout. C’est juste très bien tombé. J’ai eu la réponse aujourd’hui en réalité …»

Il n’y avait pas grand-chose à dire de plus sur le sujet et ils finirent par quitter les lieux alors que le serpentin de lumière disparaissait pour rentrer à nouveau dans l’Académie et se diriger vers un endroit que Goulven connaissait bien : la bibliothèque qui était certainement le lieu où il avait passé le plus de temps, même si ce n’était pas autant qu’Irmine finalement. Leur amour pour les livres était leur point commun et ils auraient eu maintes et maintes fois l’occasion de se croiser dans cet endroit pendant leurs études s’ils n’avaient pas été chacun dans leurs bulles respectives.
Il se surprenait lui-même car il connaissait encore le lieu par cœur, il était capable de dire ce qui avait changé de place et ce qui se trouvait toujours au même endroit. En fait ça n’avait pas beaucoup évolué depuis 10 ans.

« Quelque-part, je t’envie … Tu peux passer tes journées ici … la Bibliothèque du Grand Conseil n’est pas aussi riche.

Accessoirement, certain livres disparaissait des rayonnages. Comme dans la salle d’étude des objets magiques, Goulven alla machinalement s’assoir à la place qu’il prenait tout le temps quand il venait travailler, à 10 mètres du bureau d’Arsène Guérivaux, assez près de la section Histoire mais juste derrière ce qui traitait des autres techniques de magie, comme le vaudou. De là, il continua à regarder jusqu’à poser son regard à la place que prenait la fille qui lit.

Irmine ne commenta pas l'étonnement que Goulven émit devant sa surprise qu'il soit devenu avocat si vite. Elle ne voulait pas se montrer désobligeante ou blessante en énonçant un avis qu'elle s'était fait alors qu'elle ne le connaissait pas si bien. Il l'en avait détrompée, et tant mieux.

Une fois la bibliothèque allumée, Goulven semblait être en terrain connu, ce qui ravit Irmine. Elle avait eu un avant-goût de son inclination pour les livres, ce qui avait permis le lien entre eux, et apparemment il était tel qu'il lui enviait sa place. Encore un ?! Décidément, si ça leur plaisait tant que ça d'échanger leurs carrières rêvées contre sa place, mais qu'ils fassent donc !

- Je ne pense pas que tu serais vraiment prêt à troquer ta place tant attendue d'avocat pour la mienne. répondit-elle d'un ton légèrement railleur. Toutefois elle n'avait aucune intention de tendre l'atmosphère, aussi elle ajouta : Je crois qu'il y a peu de bibliothèques qui peuvent rivaliser avec celle-ci, encore moins celle du Grand Conseil dont certaines sections changent drastiquement à chaque nouveau Consul.

Il était évident que la bibliothèque de Brocéliande possédait un but de propagande inavoué, et jamais Irmine n'aurait accepté de travailler là-bas. de toute manière, au vu de son hybridation la question d'un poste là-bas ne se serait jamais posée.

Alors que Goulven s'asseyait à une table non loin de son bureau de bibliothécaire, Irmine se dirigea elle aussi vers la section où elle avait d’innombrables heures d'étude et de lecture, celle consacrée aux Sortilèges et à la Magie Intuitive, accolée aux rayonnages chargés d'ouvrages de Runes. La jeune fille qu'elle était avait estimé l'emplacement idéal, car légèrement reculé et lui donnant ainsi la tranquillité qu'elle chérissait. Ce soir-là elle s'y dirigeait pour une raison bien précise. Elle s'arrêta non loin de sa vieille table de travail et attrapa trois livres après avoir rapidement parcourut un étage des yeux. Prenant un instant pour les considérer, elle s'assit à moitié sur la table en feuilletant rapidement les livres, coinçant une mèche de cheveux derrière son oreille, et après quelques minutes elle en choisit un qu'elle garda tandis qu'elle reposait les deux autres sur la table. Elle rejoignit ensuite et le tendit à Goulven avec un petit sourire.

- Si tu veux vraiment acquérir des bases en runes, tu dois lire ce livre. Je ne peux pas te le prêter, mais retiens la référence...

La jeune femme fut interrompue dans sa phrase par un bruit de pétards au loin qui attira son attention. Elle alla à la fenêtre la plus proche et écarta un peu les rideaux : à Bois-Doré, le traditionnel feu d'artifice semblait avoir commencé, à voir les lueurs colorées qui dépassaient des arbres de la forêt qui s'étendait sur le chemin entre l'Académie et le village.

- Je crois que la nouvelle année a commencé. Je ne pensais pas que nous étions si proches de minuit., commenta Irmine en observant les lumières qui dépassaient des cimes.

Cela la surprenait, car le feu d'artifice aurait dû pouvoir se voir depuis toute l'île.

Il n’avait pas voulu paraître désobligeant en exprimant sa jalousie mais il avait bien mérité ses railleries.

« Non c’est vrai, surtout pour la perruque ! » dit-il sur le même ton.

Il leva les yeux au ciel sur la remarque qu’elle venait de faire, elle avait totalement raison sur ce fait. La censure, la spoliation, la propagande, toute la sphère politique des sorciers influençait beaucoup leur quotidien et en réalité, on n’était pas aussi libre de penser ce qu’on voulait sur la soit disant terre des droits de l’homme.

« Oui, mais il y a un archiviste au Grand Conseil qui s’en occupe. »

Il n’en dit pas plus sur ce jeune homme qui était chargé de retirer et faire disparaître les ouvrages devenus interdits et qui en réalité les faisait garder précieusement dans un coffre d’une banque anglaise, tenue par des Gobelins. Comment le savait-il ? C’était Jared qui le lui avait dit lorsqu’il lui avait exprimé son inquiétude à ce sujet son ami lui avait dit que ces « foutus bouquins » étaient en sécurité quelque-part. Pour le reste l’avocat n’avait pas cherché à en savoir plus, car moins il en saurait et moins il aurait d’ennuis.
Il la regarda d’un air entendu et lui dit sur le ton de la confidence :

« C’est un secret ! »

Pui il l’observa tandis qu’elle allait prendre des livres dans quelques rayonnages, je crois que c’est à ce moment-là que tout devint flou pour lui. Ce moment où elle vint s’assoir sur la table pour feuilleter ses trouvailles. Le sorcier se perdit dans sa contemplation de la bibliothécaire, conscient que l’image qu’elle lui renvoyait était enjolivée par son souvenir de cette mystérieuse inconnue qui lisait et qu’il n’avait jamais abordé.

Mais même. Depuis le début ce qui l’avait motivé à bâtir et enrichir cette amitié ce n’était pas juste leur intérêt commun pour les livres non … Là, Goulven ne la trouvait plus seulement intrigante il la trouvait belle. Elle était belle dans sa timidité, adorable dans ses manières d’éluder les questions qui la dérangeaient, délicieuse quand elle ne pouvait s’empêcher de dire quelque-chose de déplaisant à entendre. Ce n’était pas juste son esprit qui le séduisait mais son être tout entier, et c’est cela que lui fît l’image d’Irmine lisant dans sa bibliothèque.
Il comprit aussi que s’il tenait à cette amitié à tout prix c’était dans le seul but qu’elle ne reste pas en l’état …
Croyez-le ou non, il détourna le regard tant il était gêné de la nature des sentiments dont il venait de prendre conscience. Il se sentait irrémédiablement attiré par elle et n’avait pas besoin de se poser autant de questions qu’un adolescent pour le comprendre en revanche il savait qu’une quelconque manœuvre de séduction pour tenter d’obtenir autre chose que son amitié serait rédhibitoire et condamnerait son cœur. De plus, ce qu’il lui avait promis, c’était l’honnêteté.

Déjà elle était près de lui et lui tendait un nouveau livre. Il n’avait pas écouté la raison pour laquelle il devait le lire mais il la devina plus facilement que le titre de l’ouvrage qui était inscrit dans un alphabet encore inconnu. Il le feuilleta et le regarda sans le lire, alors qu’elle était toujours là, puis elle fût dérangée par le bruit d’un feu d’artifice au loin. La bonne année ? Il se retrouva soudain à 0h01 le 1er janvier 2015 dans la Bibliothèque de l’Académie en réalisant qu’il avait perdu la notion du temps toute la soirée. Abasourdi, il referma le livre sans même savoir de quoi il parlait et la regarda alors qu’elle lui faisait dos.
Cette fois, la ressemblance le frappait encore plus et il sentit son cœur littéralement rater un battement en perdant son habituel sourire tranquille. Ce fût plus fort que lui, il se leva et marcha sur ses pas. Parvenu à sa hauteur il lui attrapa la main et l’incita à se retourner vers lui, mais sans comprendre la motivation de cette soudaine impulsion. Non, il était aussi surpris qu’elle et devait vite trouver une raison à son geste en sachant très bien que « je voulais voir ton visage » n’en serait pas une suffisante.

« Heu … »

Ca ne lui arrivait pas souvent de ne pas trouver ses mots et il ne pouvait pas nier que la maîtrise de lui-même qui le caractérisait habituellement lui faisait grandement défaut en cet instant. Mais alors qu’il aurait dû lâcher sa main il la serra un peu plus.

« Tu m’accordes une danse ? »

Les sous-entendus sur les ouvrages qui disparaissaient de la bibliothèque du Grand Conseil intriguèrent Irmine, qui ne pouvait rester de marbre en pensant à la censure et à l'interdiction apposée sur certains ouvrages par le gouvernement. Vous désirez savoir quel genre d'êtres dirigent un pays ? Il vous suffit de jeter un coup d'oeil à la liste des livres interdits de publication.

- Qui s'en occupe ? questionna-t-elle, perplexe sur l'utilisation de ce terme.

Mais Goulven n'en dit pas plus et lui fit une moue qui signifiait clairement qu'elle n'en saurait pas plus sur le sujet. Plus que l'information en soi, qui était plutôt rassurante, c'était l'attitude du jeune homme qui piquait sa curiosité. Trempait-il dans une action de résistance cachée ? Ses convictions étaient-elle si fortes ? Une question à laquelle elle n'allait pas avoir de réponse de sitôt.

Quand elle lui tendit le livre qu'elle avait sélectionné, Irmine trouva que Goulven avait l'air un peu absent, mais elle n'eut pas le temps d'approfondir cette impression car déjà le bruit des feux attirait son attention vers la fenêtre. La jeune femme s'attarda vers celle-ci, observant d'un air dubitatif la lueur orangée qui s'attardait sur l'autre partie de l'île.
C'est alors qu'elle sentit sa main tirée par une autre, dont le contact n'était plus inconnu. Surprise, elle se retourna, comme le lui demandait cette pression contre ses doigts, et son regard croisa celui de Goulven. L'expression de l'avocat semblait confuse, comme s'il était tracassé.

- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Irmine d'une voix moins assurée que ce qu'elle aurait aimé.

Ce nouveau contact la replongeait dans le trouble qui l'avait habitée sur la scène du théâtre. Elle ne savait pas ce que le jeune homme avait en tête, et pour une fois, ce geste de sa part ne semblait pas être le fruit d'une audace contrôlée. Il hésita un instant, puis resserra légèrement sa main autour de celle de la jeune femme, avant de lui demander une danse. Les yeux d'Irmine s'arrondir légèrement d'étonnement.

- Ici ? Maintenant ? répondit-elle automatiquement, ne pouvant masquer que cette demande la prenait de court.

La naïade commençait à s'habituer à ce que son ami la surprenne par son comportement à son égard, mais elle ne s'était pas attendue à une invitation de la sorte, un peu saugrenue étant donné le lieu, le moment et l'absence de musique. Mais Goulven semblait parfaitement sérieux et la légère pression qu'il exerçait sur ses doigts ne faiblissait pas. Cette fois, Irmine ne retira pas sa main non plus.

- Tu ne viens pas de me dire que tu n'es pas un bon danseur ?

Oublié les feux, oublié nouvel-an, son esprit était à nouveau totalement accaparé par l'homme qui se tenait en face d'elle. Mue par l'envie qu'elle avait ressentie en dansant avec Jared - celle qu'elle aurait préféré que Goulven soit à sa place - Irmine démontra une nouvelle fois que la présence du jeune homme affectait son comportement d'une manière bien particulière.

- Je peux t'apprendre quelques pas, si tu veux..., proposa-t-elle.

Les commissures de ses lèvres se levèrent légèrement en une amorce de sourire impossible à cacher. Elle aimait danser, la sensation de la main de Goulven n'avait rien de désagréable, son regard vert n'avait pas fui, et ils étaient seuls.

Une danse. Une danse … UNE DANSE ! Ce brillant cerveau avait court-circuité ce que devait articuler sa bouche pour proposer … Une danse. Goulven ne savait plus où se mettre mais s’il avait eu assez de concentration pour arriver à se rendre invisible grâce à un sortilège de dissimulation informulé et sans baguette, il l’aurait fait immédiatement. Ou un retour en arrière, avec un Retourneur de temps, il pourrait peut-être s’assommer lui-même et s’empêcher de faire cette proposition totalement insensée, d’autant que quelques minutes avant …

- Tu ne viens pas de me dire que tu n'es pas un bon danseur ?


Oui ! Bon ! On n’a jamais caché que la situation devenait totalement absurde. L’avocat finit par rire tellement il était gêné, et puis il allait lâcher sa main et trouver une cabriole pour se sortir de cette situation quand …

- Je peux t'apprendre quelques pas, si tu veux...


Il arrêta de rire et cette fois c’est elle qui accrocha son regard, lui le plus mal à l’aise. Non seulement ses prunelles vertes étaient vissées dans les siennes, mais en plus elle souriait, ce qui lui ôta toute envie de partir. Il aurait même pu oublier que son cas était presque désespéré et était soudain prêt à apprendre quelques pas de danse.

« Juste de quoi être capable de t’inviter une prochaine fois … »


Voir son ami tournoyer avec Irmine sur la place du village lui avait fait regretter de ne pas savoir danser. Il aurait pu l’inviter et partager ce moment avec elle, puisqu’elle avait l’air d’adorer cela, au lieu de cela c’est planté comme un radis qu’il les avait regardé sans savoir quoi faire de lui. Une fois e plus, Irmine était dans la position du Professeur et lui de l’élève. Il se montrait bien plus attentif qu’à ses explications sur les Runes Anciennes d’ailleurs.

« Alors heu … »


Il attendit ses instructions … Où devait-il poser ses mains ? Puis il regarda ses pieds. Il avait peur d’écraser les siens et de lui faire mal, bref, tous ces clichés des cours de danse improvisés. Il souffla, heureusement il ne se prenait pas au sérieux.

« Bon, ça va bien se passer hein … » dit-il pour se rassurer … et la rassurer aussi d’une certaine manière.

Irmine n'était plus certaine de suivre Goulven : il lui proposait une danse, mais en réalité semblait peu rassuré à l'idée de se lancer là-dedans avec elle. Les rôles semblaient à nouveau inversés, la gêne du jeune homme était claire tandis qu'Irmine évoluait en terrain connu ; cette soirée haute en couleurs n'avait été faite que de ces échanges de rôles entre eux.
La jeune femme prit la seconde main de Goulven, pour débuter en le laissant observer ses pieds, et hocha la tête d'un air qui se voulait rassurant. Il ne pouvait pas être si mauvais que ça, la valse était à portée de toute personne sachant compter jusqu'à trois.

- Ce n'est pas très compliqué, je te le promets. Une fois que tu connais les pas de base, les variations ne sont qu'un jeu d'enfant.

La naïade commença à bouger lentement ses pieds afin de laisser à son ami le temps de comprendre l'enchaînement d'une simplicité enfantine. Elle-même regardait les pieds de Goulven tenter d'accrocher le rythme, mais ce n'était pas glorieux.

- Non, regarde, tu en oublies un au moment de te déplacer : un à droite, deux, trois...un à gauche, deux, trois...voilà, c'est mieux !

Elle eut un sourire amusé, alors qu'il perdait le compte à nouveau, mais garda patience en se disant qu'elle-même avait dû passer par là il y avait une dizaine d'années. Bon, le breton semblait avoir de plus grandes difficultés qu'elle au départ, mais elle ne s'avouait pas vaincue.
Irmine décida d'augmenter très légèrement la difficulté en prenant la position réelle de danse : elle plaça la main gauche de son partenaire sur sa taille, posant la sienne sur son épaule, et modifia la position de sa main droite dans celle du jeune homme. Puis elle releva la tête pour croiser le regard de Goulven et lui fit un nouveau sourire encourageant.

- Tu fais exactement la même chose qu'avant, mais sans regarder au sol.

La bibliothécaire compta à voix basse pour indiquer le rythme à Goulven et décida qu'elle gardait les tours pour plus tard...s'ils y arrivaient, car le jeune homme s'emmêlait à nouveau, ce qui la fit rire.

- Je croyais que la danse était une base de l'éducation de tout garçon de bonne famille. M'aurais-tu menti sur tes origines ? se moqua-t-elle gentiment.

La jeune femme était obligée de diriger, étant donné le niveau désastreux de son ami, et elle dût retirer plusieurs fois un pied prestement avant de se le faire écraser. Cette situation des plus étranges - elle, donnant un cours de danse à un débutant, en plein milieu de sa bibliothèque - eut le don de la faire éclater de rire plusieurs fois. Malgré tout, après avoir douloureusement eut le pied écrasé par Goulven pour la troisième fois, elle décida qu'il valait mieux éviter de se retrouver infirme juste pour la bonne cause.

- C'est pas possible, comment fais-tu pour avoir un aussi mauvais sens du rythme ? demanda-t-elle entre deux éclats de rire.

Irmine calma rapidement son hilarité, ne souhaitant pas vexer le jeune homme. Il y avait malgré tout une danse que toute personne, aussi nulle soit-elle, pouvait retenir sans trop de difficultés, et la jeune femme décida de laisser tomber la valse pour celle-ci.

- On va essayer autre chose. Si ça non plus tu n'y arrives pas, je ne pourrai plus rien faire pour toi ! Mais celle-là, tu la connais forcément., annonça-t-elle en secouant la tête d'un air amusé.

Soundtrack:

Délicatement, elle amena la deuxième main de Goulven sur sa taille et posa la sienne sur son épaule, s'approchant légèrement plus de lui. A les regarder ainsi, on aurait pu croire deux adolescents au Bal de fin d'année de l'Académie, cependant il n'y avait pas entre eux la distance embarrassée qu'on pouvait observer chez beaucoup d'élèves lors de cet événement. Au contraire, imperceptiblement, le corps d'Irmine se rapprochait de celui de l'avocat, alors qu'ils dansaient quasiment sur place pour éviter de nouveaux pas maladroits.
Le regard de la naïade accrocha une nouvelle fois celui de Goulven, et elle ne put retenir un léger sourire. Elle n'avait pas imaginé passer une aussi bonne soirée en allant à Bois-Doré, et la gêne qu'un contact physique, bien plus prolongé que celui qui avait précédé dans la théâtre, avait tendance à créer en elle était éclipsée par le contexte de cette danse lente.
Peut-être qu'un instant elle oublia où elle se trouvait, et peut-être même que ce qui avait commencé comme un cours catastrophique donné à un ami était doucement en train de glisser vers autre chose. L'esprit de la jeune femme était bien loin de ces réflexions.

En fixant le bout de ses pieds, il tentait de reproduire scrupuleusement les pas qu'Irmine lui montrait mais ça n'allait jamais. Soit il avait un demi temps de retard, soit il en oubliait carrément un ou alors il posait son pied à gauche au lieu de la droite. Il n'y avait aucune logique ni coordination dans ses mouvements. Quand elle se mit à compter à haute voix cela l'aida un peu et lui arracha un sourire satisfait. Il bougeait maintenant en même temps qu'elle même si ce n'était pas très assuré ça commençait à ressembler à de la danse. Mais laquelle d'ailleurs ?
Irmine plaça la main de Goulven sur sa propre taille et modifia la position de sa main afin de leur faire adopter une position plus conventionnelle tandis qu'Irmine lui demandait de ne plus regarder ses pieds.
Encouragé par sa partenaire, professeure et amie, il releva la tête et tomba à nouveau dans ce regard vert, manquant de lui écraser un orteil au passage.

"Oh je suis désolé !"

Il se reconcentra sans lâcher les yeux d'Irmine et sans les regarder vraiment non plus. Quand il accrochait le rythme il relâchait sa concentration, mais cela entraînait toujours une erreur qui déclenchait éclat de rire, parfois petits cris de douleur aussi. Mais cela lui demandait un effort tel que l'exercice n'était pas très agréable. Il était tellement obnubilé par le compte des temps et la mesure de ses mouvements qu'il ne profitait pas du tout de la présence de sa partenaire, ce qui était quand même le but premier de la danse !

"Non ..." dit-il avec un ton légèrement crispé. "C'est une faille de mon éducation ... Oh ! Pardon !"

A parler il avait de nouveau fait une faute et écrasé un des pieds d'Irmine. Il se confondit en excuses et cela eut pour mérite de faire rire son amie. Goulven rit avec elle. Son niveau était catastrophique à un point où il valait mieux en rire qu'en pleurer, elle avait totalement raison.

"C'est un travail de longue haleine, qu'est-ce que tu crois ? Être aussi mauvais ça ne peut pas être inné !"

Quelques pas après l'incident, elle lui annonça qu'ils allaient changer de danse.

"Attend, déjà que je ne ..."

Une danse qu'il connaissait ? Impossible. Mais c'est avec beaucoup de surprise qu'elle posa sa seconde main sur sa taille et adopta un doux mouvement de balancier. Cette danse qui n'en était pas vraiment une avait bien été la seule qu'il avait été capable d'offrir à Lucila lors d'une fête qui avait ressemblé à celle qu'ils venaient de quitter et le moment ne lui avait pas du tout paru agréable pour autant. Pas comme cette fois. Est-ce que c'était parce qu'ils étaient dans un endroit complètement atypique pour cela ? Parce qu'ils étaient seuls aussi ? Et surtout parce que c'était elle ?

Suivant ses mouvements sans trop de difficultés il profitait pleinement des douces ondulations de la taille contre les paumes de ses mains dont il corrigea la raideur pour mieux l'envelopper. Ses épaules se relâchèrent et il plongea à nouveau ses yeux dans les siens en retrouvant la bulle qu'il avait visité lorsqu'il avait pris ses mains dans la salle de musique. Hors du temps et de l'espace, peu importait qu'il soit dans la bibliothèque, un théâtre vide, une réception guindée ou une fête de village parce qu'il était avec elle et de cette soirée il ne retiendrait que ça : sa présence.

C'est tout naturellement que leurs corps se rapprochèrent et que la distance entre eux se réduit physiquement pour la première fois. Son coeur battait si fort qu'il était impossible qu'elle ne l'entende pas mais pourtant elle n'avait pas cette gêne qu'elle montrait d'habitude sans le vouloir. Goûtant à cette nouvelle complicité, il l'enveloppa un peu plus. Une explosion résonna et illumina le ciel. Le final du feu d'artifice ? Il ne détourna pas pour autant son regard d'elle mais son sourire s'accentua.

"Bonne année ..." murmura t'il. Et porté par l'instant il céda à la tentation d'aller embrasser ses lèvres ...

Mais la porte de la bibliothèque s'ouvrit sur le terrible duo à l'origine du spectacle pyrotechnique qui secouait apparemment l'extérieur et les fît atterrir d'une façon bien brutale.

Le Lily courraient comme des lièvres en période de chasse...et la métaphore n'était pas si éloignée de la réalité ! Ils étaient coursés par leur terrible Doyenne, qui avait vite deviné de qui venait le grabuge phénoménale à la fête du nouvel-an, malgré toutes les précautions qu'ils avaient prises.

Ils avaient réussi à lui échapper et s'étaient précipités au palais afin de se cacher. Les deux jeunes gens avaient pour eux que leur prof avait l'air d'avoir un peu abusé de l'alcool à cette soirée, et donc qu'elle n'était pas au 100% de ses facultés. Autrement, ils seraient déjà mort et enterrés. Peut-être même qu'ils pouvaient espérer jouer les innocents le lendemain et qu'elle les aurait oubliés s'ils arrivaient à ne pas se faire voir d'ici-là.

- Je t'avais dit d'attendre avant la dernière fusée ! pesta Alix, essouflée, tout en courant, Hufff...que...hfff...Fillarius nous avait reperés !

Heureusement qu'Alix était sportive et s'entraînait plusieurs fois par semaine, car la crise cardiaque la guettait avec une telle course.
Le terrible duo avait passé les portes du palais et devaient maintenant trouver un endroit où se cacher. Mais où ? Le temps étant compté, alors ils se dirigèrent vers l'endroit le plus proche et le plus incongru : la bibliothèque.

- Mais tu crois que Boisseuil la laisse ouverte à une heure pareille ?

Seulement elle n'eut pas vraiment le temps de se poser la question plus avant, car déjà son ami ouvrait grand la porte et la poussait dedans. Même dans son imagination sans borne, Alix n'aurait pas pensé assister à un tel spectacle : de un la bibliothèque n'était pas vide, de deux la bibliothécaire y était, de trois elle n'y était pas seule, et de quatre...elle était dans les bras d'un mec !!!
La surprise laissa Alix bouche-bée. La sévère Mlle Boisseuil n'avait donc pas que les bouquins dans sa vie ? Ça c'était le scoop de l'année !

- Euh..., fut tout ce que son cerveau l'autorisa à dire face à cette situation invraisemblable.

Lysandre ne courrait pas il volait littéralement. Mais si Fillarius l'attrapait cette fois c'était sûr il allait mourir dans d'atroces souffrances. Une véritable exécution sur la place publique, sans aucune forme de procès. Elle les avait vu, elle SAVAIT que c'était eux, leur farce se retournait contre eux et il n'y avait pas moyens : il fallait fuir.

Alix courrait beaucoup plus vite et plus longtemps que lui qui était une grosse feignasse mais il réussi à gagner avec elle les abords de l'académie en manquant l'arrêt cardiaque à plusieurs reprises.


"J'en peux plus ! Avance sans moi, j'te ralentis !"


Mais Alix ne l'avait pas abandonné et ensemble ils pénétraient dans le palais pour trouver refuge dans un endroit sûr et de préférence improbable. Ils étaient nombreux dans le palais, même si certains étaient exclus. Les quartiers de Lutra, le Théâtre, la salle de Musique, le réfectoire ... Fillarius pouvait surgir partout ! Mais Alix l'entraîna vers la Bibliothèque.


"T'es malade ? Chuis exclu de cet endroit à vie !"


Mais bon, personne ne le saurait, le truc c'était que même sans Boisseuil, cet endroit avait fini par l'impressionner et le faire flipper, il n'osait tout simplement plus y entrer.
Alix progressa dans la pénombre et elle s'arrêta, Lysandre lui rentra dedans.
Quand il vit ce qui l'avait fait s'arrêter, Lysandre eut du mal à ne pas retenir une exclamation lui aussi. Mademoiselle Boisseuil se trouvait là, dans les bras d'un gars qu'ils ne connaissaient pas et qui, par conséquent, n'était pas de l'académie. Et le PIRE c'est qu'ils étaient presque enlacés qu'il allait ou venait de l'embrasser. Lysandre était surpris que la bibliothécaire aie un coeur.

"Whohohoooo !"

Puis le regard de l'homme croisa celui de Lysandre, qui sentit ses cheveux se dresser sur sa tête.

"Putain, barre toi !"

Ils avaient le choix entre Boisseuil ou Fillarius, la peste ou le cholera. Malheureusement, avant qu'ils ne puissent sortir, la porte fût scellée par un sort.

HJ : Soit Irmine le lance, soit Goulven c'est toi qui décide !

Parfois le temps s'arrête. L'espace de quelques secondes, il suspend sa course et retient son souffle. Il sembla faire ce cadeau aux deux silhouettes qui se rapprochaient irrémédiablement dans la lumière tamisée de la bibliothèque.
Irmine ne réfléchissait plus, elle agissait d'instinct, mue par cette impulsion qui la tendait toujours plus vers Goulven. Elle aurait été bien en peine de dire combien de temps ils avaient passé ainsi, leurs corps attirés l'un vers l'autre comme si un élastique invisible les reliait. Plus elle cherchait à s'éloigner, et plus elle se rapprochait de lui un peu plus par la suite. Elle avait fui le contact de ses mains dans le théâtre plus tôt, et désormais elle goûtait à la douce pression qu'elles exerçaient sur sa taille.

S'il n'y avait pas eu cette détonation au loin, peut-être leurs lèvres se seraient-elles rencontrées...mais elle suffit à réveiller chez Irmine le peu de conscience qu'il lui restait de ce qui était sur le point de se produire. Elle ne le repoussa pas, elle ne le pouvait pas. Non, elle ne le repoussa pas, mais elle se recula très légèrement, de quelques centimètres à peine, juste assez pour empêcher ce baiser qu'elle ne pourrait pas assumer. Les paupières closes et se mordant la lèvre inférieure, son souffle se suspendit alors que la réalité la rattrapait.

Le temps reprit brutalement son cours à l'intrusion des deux élèves à l'origine de ce que la bibliothécaire avait crû être les feux de fin d'année.
A l'exclamation de Lysandre, Irmine se détacha aussitôt de Goulven dans un mouvement des plus équivoques. De toute manière, s'ils avaient vu ce qu'il venait de se passer, les deux jeunes ne devaient pas se poser mille questions...et ils allaient probablement le crier sur tous les toits !

Ils tentèrent de s'enfuir, sentant qu'ils auraient mieux fait de choisir une autre salle pour se cacher, mais Irmine était une sorcière émérite et fut bien plus rapide qu'eux. D'un geste de la main gauche, elle claqua la porte au nez des Lutra dans une magnifique démonstration de Magie Intuitive, tandis que sa main droite s'était emparée de sa baguette et avait lancé le sort fermant la serrure.
Si le grand dadais la trouvait déjà terrifiante, il allait regretter encore plus cette intrusion. La bibliothécaire s'avança rapidement jusqu'à eux, un air sévère sur le visage, et se planta les bras croisés devant les deux petits sorciers en herbe.

- Qu'est-ce que vous faites ici ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils, Sainclair, il me semblait vous avoir interdit de remettre les pieds à la bibliothèque ! Vannier, je vous rappelle que vous n'êtes pas loin de l'exclusion définitive non plus !

La naïade était connue parmi les élèves comme étant prête à épauler et renseigner ceux qui venaient lui demander son aide concernant des ouvrages, parfois même sur des devoirs de runes, en revanche elle était absolument intransigeante en ce qui avait trait à la discipline entre les murs de sa bibliothèque. Si un jeune sorcier ne prenait pas soin des livres ou faisait le pitre dans cette pièce, il était certain de subir une colère froidement implacable et de sévères sanctions. Lysandre le savait mieux que tout autre.
Cependant, là, les deux jeunes avaient fait pire : ils venaient d'entrer violemment dans l'intimité de la jeune femme, ce qu'elle ne pouvait supporter. Dans sa tête, les idées tournaient à une vitesse folle : elle avait été surprise dans les bras d'un homme, dans un lieu où celui-ci n'aurait pas dû se trouver, les gamins risquaient de vendre la mèche, et puis Goulven avait failli l'embrasser, et elle ne savait absolument plus où elle en était, ayant failli le laisser faire mais s'étant rattrapée à la dernière seconde. Même pour un cerveau aussi brillant que celui d'Irmine, cela faisait beaucoup à digérer d'un coup.

Sans l’intention de la brusquer ou de lui voler un baiser Goulven se laissait simplement porter et il ne lui semblait pas qu’elle le repoussait, mais elle eut ce petit mouvement de recul qui lui donna l’impression de se cogner contre la barrière qu’elle mettait entre eux … Il n’insista pas. Par la suite il n’eut guère le temps où l’occasion de s’excuser car la porte s’ouvrait à la volée sur deux élèves, deux ados de 15 ou 16 ans qui visiblement cherchaient une cachette quelque-part. L’un d’eux somma sa camarade de fuir, et Goulven sortit sa baguette pour les retenir car il se doutait que s’ils répétaient ce qu’ils avaient vu, la rumeur serait amplifiée mais aussi propagée et déformée. Sa présence ici pourrait créer beaucoup de problèmes à la bibliothécaire et c’était la dernière chose qu’il souhaitait.

Irmine fût la plus rapide. Elle offrit une magnifique démonstration de Magie Intuitive en sus avant de verrouiller la porte et approcha à pas rapide vers les deux jeunes. Goulven la suivit de près mais il avait lui-même un peu peur, à la place des deux abrutis il ne saurait plus où se mettre, en même temps un truc pareil ne lui serait jamais arrivé.

Le plus simple évidemment c’était de leur jeter un sortilège d’Amnésie mais cela lui posait un problème moral en réalité. A côté d’Irmine il n’en menait pas large et se disait qu’il aurait mieux fait de refuser cette petite visite guidée. Ils avaient pris des risques toute la soirée, elle pourrait avoir des problèmes … Lui c’était moins grave étant donné qu’il ne travaillait pas pour l’Académie, mais ce genre de frasques étaient aussi mal vues au Grand Conseil. Il n’avait rien à faire là. Il fût surpris de voir à quel point le plus grand des deux semblait apeuré par la Bibliothécaire.
Un peu démuni par la situation, il décida d’abord de la laisser gérer, néanmoins sa main était serrée autour de sa baguette.

3615 MonPosteNeSertARien

Alix fila un coup dans le bras de son ami à son exclamation : niveau discrétion, on avait fait mieux ! La bibliothécaire se détacha de l'inconnu beaucoup trop rapidement pour être honnête, ce qui fit ricaner Alix, mais au regard que leur lancèrent les deux sorciers, son rire s'étrangla dans sa gorge.
Lysandre, dans un éclair d'intelligence, l'invita à prendre ses jambes à son cou, ce qu'ils firent prestement...malheureusement Boisseuil était rapide.
Clac ! La porte fit un bruit qui aurait aussi pu être celui de la guillotine pour les deux adolescents. Ils étaient morts !
Ils se retournèrent alors que la sorcière leur faisait face, les bras croisés et l'air particulièrement mécontente. Alix baissa la tête, l'air contrit, tandis que Boisseuil les grondait. Elle releva la tête lorsqu'elle mentionna sa possible exclusion à venir. Ah non ! Elle voulait pas devoir trouver un intermédiaire comme Lysandre maintenant !

- Bah euh ! On est rentrés de la fête, pis euh...je suis tombée contre la porte...et elle était ouverte...alors voilà. On vous espionnait pas en train de...de vous...enfin de faire ce que vous faisiez !

La pire excuse du monde probablement, et qui aggravait leur cas, mais la démonstration de magie de la bibliothécaire, et la tête qui allait avec, étaient du niveau de Mlle Fillarius quand elle leur annonçait une retenue !
Alix jeta un rapide coup d'oeil à l'homme qui avait rejoint le groupe, lui aussi sa baguette à la main.

- Vous allez pas nous jeter un sort quand même ?!, s'écria la Lutra en regardant alternativement les deux adultes, Vous savez, c'est interdit par le règlement ! Enfin vous, vous savez peut-être pas...vous êtes qui d'ailleurs ?

Alix retrouva son culot légendaire en se rendant compte s'ils n'avaient rien à faire à la bibliothèque à une heure pareille, la présence du sorcier était tout aussi louche ! Et là se trouvait peut-être leur salut...

Dans les punitions distribuées à Beauxbâtons, aucune n'impliquait l'usage de la Magie sur un élève. Heureusement pour Alix et Lysandre d'ailleurs qui ne seraient plus de ce monde pour rappeler à Mademoiselle Boisseuil ce qu'elle avait le droit de faire et de ne pas faire. L’excuse donnée par Alix était pitoyable et elle aurait mieux fait de laisser faire le théatreux qu’il était mais c’était trop tard. C’est sous le regard incrédule des deux adultes qu’elle venait de signer leur arrêt de mort, cependant elle retourna de façon spectaculaire la situation.

« Ah ! Ah ! C’est vrai ça ! Selon l’article 12 du règlement, paragraphe 3 et alinéa C (je le sais parce que je l’ai copié des centaines de fois quand j’étais en colle avec Granville), il est INTERDIT d’inviter des personnes extérieures à l’école dans l’enceinte de l’Académie. Or, LUI il est pas de l’école que je sache ! »

L’occasion était trop belle et ils avaient une chance de s’en sortir maintenant. Mademoiselle Boisseuil aurait de gros problèmes s’ils venaient à parler et là ils étaient en position de force selon une logique de Lysandre.

Culotté comme jamais, l’adolescent leva le menton et toisa la bibliothécaire et l’avocat pris sur le fait. L’homme avait l’air effaré et Lysandre était ravi de son petit effet. Il y avait matière à négocier.

« Alors, on ne dit rien, si vous ne dîtes rien non plus. Vous ne nous avez jamais vu et lui, on l’a jamais vu non plus. Et en sus, je veux avoir de nouveau accès à la bibliothèque. »

Il croisa les bras, attendant un retour à sa proposition. Elle pourrait les coller jusqu’à la fin de leurs jours et même dans le pire des cas les exclure, ils parleraient. La balle était dans son camp !

Irmine voyait la situation se retourner contre elle, tandis que les deux adolescents faisaient remarquer la présence interdite de Goulven dans ce lieu. Ce n'était pas croyable, ils n'allaient quand même pas l'avoir avec un règlement qu'ils enfreignaient à longueur de journées !

- N'essayez pas de tourner le règlement à votre sauce ! Vous n'avez rien à faire ici à cette heure, et à voir vos têtes, vous avez encore fait une de ces bêtises aberrantes dont vous avez le secret !

Seulement la jeune femme, ne s'attendait pas à assister à une telle démonstration d'insolence de la part des deux Lutra. L'air suffisant avec lequel Lysandre la regardait après avoir lancé sa bombe eut raison de sa patience.

- VOUS VOUS FICHEZ DE MOI, SAINCLAIR ! s'exclama-t-elle en lui pointant sa baguette sous son menton relevé.

Irmine n'aimait pas du tout la tournure que prenait cette conversation. C'était absurde, elle n'avait pas à marchander avec deux adolescents apparemment assez suicidaires pour la mettre en colère.

- Ne me poussez pas à bout, vous risqueriez de le regretter. Et si le règlement m'interdit de faire usage de la magie sur les élèves, si ceux-ci ne s'en souviennent pas il n'y aura pas matière à reproches.

La bibliothécaire n'allait évidemment pas leur jeter de sort, elle n'aurait moralement pas pu s'en prendre à ces deux garnements car elle n'allait pas attaquer plus faible qu'elle, mais elle savait que Lysandre avait peur d'elle, aussi elle espérait pouvoir jouer là-dessus.

- Je ne crois donc pas que vous soyez en position de négocier un retour à la bibliothèque. Et vous avez meilleur temps de tenir votre langue si vous voulez garder votre place dans l'orchestre. acheva-t-elle.

Goulven était effaré du culot des deux adolescents, mais il l’était aussi par le ton que prenait Irmine pour les remettre à leur place. Elle cassait l’image de femme fragile qu’il avait d’elle. Mais vous savez quoi ? Il ne l’en aimait que plus, parce qu’à ce stade là il était clair qu’il était perdu. Elle l’impressionnait dans le bon sens du terme, et heureusement qu’elle s’interposa entre lui et les deux abrutis parce que l’envie de leur jeter un sort dont ils se souviendraient n’avait jamais été aussi forte. Si lui-même avait fait preuve de la moitié de leur insolence, il n’osait penser à quelle correction il aurait reçu encore aujourd’hui.

Irmine menaça alors le jeune homme d’un sort dont personne n’aurait de souvenir. C’était tentant, c’est vrai, mais ce n’était pas une solution parce que même si eux ne s’en souvenait pas ce ne serait pas le cas de Goulven et Irmine. Saleté de devoir moral. Il s’avança et posa la main sur le bras d’Irmine pour qu’elle baisse sa baguette. Il valait mieux éviter de commettre d’autres impairs pour ce soir … elle ne comprendrait pas sur le coup mais elle le remercierait plus tard (ou pas, ça dépendait de l’issue …)
Il lui fît un coup d’œil entendu et toisa les deux jeunes, le garçon était beaucoup plus grand que lui mais leur ressemblance ne le frappa pas. Pourtant c’était bien la moitié du même sang qui coulait dans leur veine. Le ton qu’il employa n’avait rien à voir avec celui d’Irmine, il était posé, calme, et pourtant il n’appelait pas au dialogue.

« Quand bien même vous sortiriez d’ici tout de suite pour crier à l’école (vide) ce que vous venez de voir, je transplanerai et ce sera comme si je n’étais jamais venu ici. Apparemment, vous n’en êtes pas à votre premier coup à ce que j’ai compris si c’est au point de se faire expulser de la bibliothèque … personne ne vous croira. Et ce sera votre parole contre la sienne.
Je serais vous, je me tirerais et je me ferais oublier dans mes quartiers jusqu’au mois prochain vous voyez ? »

Il croisa les bras et interrogea les deux élèves du regard. Il espérait franchement les voir décamper.

Si Alix était une vraie tête brûlée, avec les années elle avait aussi appris à reconnaître quand c'était le moment de s'arrêter. Mieux que Lysandre, qui en général ne se rendait pas compte du point de non-retour, raison pour laquelle elle évitait bien plus de retenues que lui. Si la Lutra avait fait preuve d'un sacré culot, son comparse était gentiment en train d'aggraver leur cas.

- Woooh ! Non, attendez ! s'exclama-t-elle en voyant Boisseuil menacer Lysandre.

Bien que cela puisse paraître ridicule en raison de sa taille comparée à celle de son ami, Alix s'avança pour se mettre entre lui et Boisseuil, au même moment où l'inconnu posait sa main sur le bras de cette dernière. Bien, lui aussi semblait prêt à raisonner et ne pas en venir aux baguettes, c'était un bon début.

- Y a vraiment pas besoin d'en arriver là. Personne ne dira rien à personne, on a rien vu de toute façon.

La jeune fille jeta un regard à l'homme, cherchant appui dans ce conflit qui dégénerait. La situation était absurde au possible : Alix jouant les médiatrices, c'était le monde à l'envers ! Mais elle tenait à sa mémoire.
La jeune fille se tourna vers Lysandre, lui jetant un regard autoritaire et grinçant entre ses dents :

- Toi, ferme-la maintenant.

Le tirant par le bras, elle fit un signe en direction de la sortie. Si Boisseuil ne la terrifiait pas comme Lysandre, elle venait de voir qu'il valait mieux ne pas pousser le bouchon trop loin non plus. En plus, Fillarius n'allait pas tarder à arriver, ils devaient déguerpir avant qu'elle ne les trouve.
Alix avait noté que la bibliothécaire n'avait pas parler de les dénoncer, et elle comptait sur son petit copain pour finir de la convaincre.

- Regardez, on s'en va. On n'est jamais venus ici et on n'a jamais vu monsieur qui-que-vous-soyez. Allez viens, Ly !

Alix regarda encore une fois les deux adultes, pour vérifier qu'ils ne leur lance pas de sort en traître, et soudain ça la frappa : ses traits, son visage, il avait comme un air de ressemblance avec...Lysandre ?!!! Cependant, elle n'eut pas le loisir de le faire remarquer car déjà les vociférations de Fillarius se faisaient entendre du côté des fenêtres qui donnaient sur le parc.

- Merde, grouille !