Malgré le cataclysme provoquait par la dirlo un peu plus tôt dans la cour de l’académie, les couloirs de l’école étaient étrangement calmes et vides. Il faut dire que l’on avait jugé bon de raccompagner les élèves dans leurs guildes afin de ne pas les inquiéter davantage. Et l’autre sorcière hystérique s’était bien entendu recluse dans sa tour d’ivoire pour comploter de nouvelles frasques humiliantes. Contrairement à certains de ses collègues qui avaient trouvé du réconfort en se regroupant dans leur salle de repos, Jenna avait rejoint ses quartiers et ruminait son mécontentement en tournant dans la pièce comme un lion en cage. Elle n’en revenait toujours pas. Non seulement il avait fallu qu’elle assiste à cette catastrophe sans précédent chez les sorciers mais en plus elle avait dû constater de l’étendu de la passivité de ses collègues devant un tel acte de barbarie.

« Quelle bande de froussards sans couilles ! »

Agacée, Jenna venait enfin de s’asseoir sur le bord de son lit, les bras croisés contre sa poitrine et le regard noir fixé sur le sol. Elle avait envie de tout retourner dans sa chambre mais surtout d’aller arracher la tête de De Beauregard pour la suspendre sur une pique à l’entrée de l’école. Un peu trop excentrique ? Oui, quand même ! Au lieu de ça, elle soupira bruyamment avant de se relever d’un bond pour recommencer les cent pas.

« Non mais c’est quand même pas croyable tout ça… À quelle époque elle se croit ? »

Oui, elle parlait toute seule mais c’est parce qu’elle était énervée alors… Elle pouvait ! Les poings sur les hanches, Jenna continuait de ruminer son mécontentement, les sourcils froncés et les lèvres pincées. Il fallait reconnaître que ce n’était pas souvent qu’elle arborait cette expression. Et puis, sans prévenir, elle disparut dans un pop pour réapparaître une fraction de seconde plus tard devant la porte de l’appartement de sa cousine.

Elles ne s’étaient pas reparlé depuis l’enterrement de son oncle, ne s’étant même pas adressé la parole durant la cérémonie et Jenna gardait toujours une certaine rancœur contre Ely. Enfin, normalement elle devait encore être fâchée contre elle mais là elle était en colère contre la terre entière et dans ce genre de situation, Jenna ne se connaissait qu’une seule alliée. C’est comme ça qu’elle avait atterri ici, cognant son poing contre le bois épais de sa porte pour lui signifier sa présence. Elle n’attendit pas longtemps avant que sa cousine ne lui ouvre et n’attendit pas non plus d’invitation pour se glisser à l’intérieur sans se rendre compte de l’air ahuri de son hôte en la découvrant sur le pas de sa porte.

« Tu devineras jamais ce qu’il vient de se passer à l’école ! Je te dérange pas j’espère ? Non parce que là c’est le bonbon sur les haricots… J’en reviens pas ! »

Jenna était entrée en rugissant ses propos, s’avançant dans l’appartement à grand renfort de gesticulation de bras en l’air. Elle avait besoin de se confier à quelqu’un, de pouvoir compter sur l’appui de quelqu’un et savait sa cousine toujours prête pour ce genre de chose. C’est pour ça qu’elle se tourna vers elle, déterminée à obtenir son soutien.

« La dirlo a fait cramer nos bouquins de cours ! Comme ça ! Et devant toute l’école… Mais c’est pas ça le pire… Enfin c’est quand même un peu pire mais le pire du pire c’est que personne n’a rien dit ! Des mous du gland ! Et en plus cette harpie m’a menacé ! Moi ! Elle pourra ramasser ses dents sur le sol si j’avais je la croise dans les couloirs ! Té ! Ça m’énerve, mais ça m’énerve ! »

Elle avait repris sa déambulation, déterminée à laisser un sillon sur le parquet de sa cousine à force de piétiner de gauche à droite dans la pièce. Mais c’était ça ou… c’était ça ! Et puis soudain, elle se figea sur place, se rappelant qu’elles n’étaient pas en très bon terme toutes les deux.

« Oh excuse-moi… J’aurais pas dû venir ! Vaut mieux que je file maintenant. »

Et sans attendre, elle passa devant sa cousine pour se diriger vers la porte d’entrée.

Revenue la veille le coeur gros, Elyon s'était sentie tout de suite apaisée en franchissant la porte de sa petite maison. Rien n'avait bougé depuis qu'elle était partie, le désordre était toujours là. La Dryade posa son petit sac sur le parquet de bois brut et dessina du bout de son doigts des traits dans la poussière. Elle n'arrivait pas à se rappeler depuis combien de temps elle était partie exactement.
Après avoir passé quelques jours dans la cohue de sa famille, le silence de Bois-Doré était très apaisant. Elle s'assit dans son canapé et regarda un point imaginaire flottant dans les airs.

Alors, la vie reprendrait son cours maintenant ? Elle était rentrée d'Ecosse où sa vie avait basculé, et c'était comme si rien n'avait changé. Yngvar aurait toujours son sourire en toutes circonstances, Irmine viendrait demain prendre un thé et se plaindre de sa directrice, y avait-il du neuf avec Goulven d'ailleurs ? Elle avait hâte que la vie reprenne son cours.

Et Jenna ...

Elyon préféra ne pas y penser. Il était évident que son attitude avait blessé sa cousine, et qu'elle ne serait pas ravie de la voir.

3 coups résonnèrent à la porte. Qui pouvait bien venir maintenant ? Quelqu'un qui saurait qu'elle était déjà rentrée ? Elle ouvrit la porte et tomba nez à nez avec une Jenna énervée qui n'attendit même pas d'être invitée pour rentrer.

« Tu devineras jamais ce qu’il vient de se passer à l’école ! Je te dérange pas j’espère ? Non parce que là c’est le bonbon sur les haricots… J’en reviens pas ! »

Surprise de cette visite autant qu'intriguée par ce qu'il venait de se passer à l'Académie, Elyon écouta l'impétueuse rousse sans l'interrompre.
Elle essayait de la suivre, mais était tellement perturbée par sa présence qu'elle avait beaucoup de mal à imprimer.

Jenna réalisa soudain que le fait de se trouver là était complètement innatendu et sembla vouloir prendre congé immédiatement.

- Non !!!!

Elyon l'attrapa par le bras et lui sauta au cou sans tellement penser à ce qu'elle faisait.

- Reste Jenna ... Je suis tellement désolée ... Je crois que je ne réalisais pas jusqu'à ce que ... jusqu'à ce qu'il soit que ... Oh, je sais que tu m'en veux, et tu as raison, mais tu me manques ! Je ne sais pas quoi faire pour me faire pardonner ...

Bon bah pour la fuite sans remous, Jenna pouvait repasser ! À peine avait-elle fait quelques pas vers l’entrée que déjà Ely, lui agrippait le poignet avant de se jeter sur elle pour l’enlacer. Ok ! Ely : 1 Jenna : 0. Elle était statufiée, les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte. Remarque, au moins elle était disposée à écouter les excuses de sa cousine comme ça. Oui mais non… Elle s’écarta d’elle, la repoussant légèrement pour s’éloigner un instant dans le couloir, muette. Et puis elle fit demi-tour pour revenir devant Ely, une expression contrariée sur le visage.

« C’est ce que tu penses ? Que je t’en veux ? Mais pourquoi je t’en voudrais ? »

Jenna leva les yeux au plafond avant de croiser les bras contre elle. Elle aurait préféré de pas avoir cette discussion avec sa cousine, enfin pas maintenant tout du moins. Parce qu’elle l’aimait comme une sœur, elle n’avait pas envie de l’accabler maintenant de ses états d’âme. Elle avait perdu son père et devait apprendre à vivre avec son absence, elle n’avait certainement pas besoin de ce genre de conversation maintenant.

« Je suis juste… Déçue. Je pensais que t’avais confiance en moi… Enfin je veux dire… Je sais que tu n’es pas très expansive… Mais c’est juste que… »

Elle dut marquer une pause, sentant sa gorge se nouer au fil des moments qu’elle prononçait. Elle se sentait mal de tenir un tel discours parce qu’elle ne voulait vraiment pas blesser Ely davantage. Et puis elle avait aussi peur. Peur de l’entendre lui dire ce qu’elle n’arrêtait pas de se répéter depuis quelque temps.

« Laisses tomber d’accord… C’est pas le moment de parler de ça… Je veux pas en rajouter ! Je vais juste… Juste rentrer ça vaut mieux ! »

Au lieu de rester dans ses bras, Jenna se dégagea de son étreinte. Apparemment, sur ce coup-là, Elyon n'avait pas compris sa cousine, mais il y avait un paquet de choses qu'elle n'avait pas compris ces derniers temps.

- Confiance ? Quoi ? Mais si Jenna ... pourquoi ... C'est juste que ...


Elle la suivit en faisant quelques pas, sans comprendre les sentiments de Jenna exactement, ni ce qu'elle lui reprochait.

- Quoi ? Moi je t'ai déçue ? Mais pourquoi ???


Décevoir quelqu'un ... c'était pire que tout pour elle ! Surtout si c'était une personne qu'elle aimait beaucoup. Alors il était hors de question qu'elle laisse Jenna partir sans savoir ce qu'il y avait exactement.

- Mais reviens Jenna, ne part pas ! Comment veux-tu que je comprenne si tu ne me dis pas tout ?


Mais l'enseignante ne semblait pas disposée à parler.

« Laisses tomber d’accord… C’est pas le moment de parler de ça… Je veux pas en rajouter ! Je vais juste… Juste rentrer ça vaut mieux ! »


- Jenna
s'énerva Ely en frappant du pied. Ca suffit maintenant, tu en as à la fois trop dit et pas assez. Comment veux-tu que j'y comprenne quelque-chose. Reste pas là, rentre et explique moi ...

Jenna était à quelques centimètres de la porte, la main tendue vers la poignée lorsqu’Ely l’interpella avec autorité. Le ton de sa voix ne laissait pas d’alternative à la jeune femme qui s’immobilisa dans le couloir. Résignée, elle ferma les yeux une seconde avant que ses mains ne viennent frictionner son visage pour finir par tirer ses cheveux en arrière.

« Ok ! Tu veux des explications ? »

Dans un soupir, la jeune femme se retourna pour faire face à sa cousine. Elle n’était pas particulièrement en colère mais n’était pas calme non plus. Enfin c’était Jenna quoi !

« Tu ne m’as rien dit Ely ! T’es partie en Écosse toute seule… Enfin non ! Pas toute seule puisque tu as pris la peine de prévenir Aaron et sa sœur pour qu’ils t’accompagnent au chevet de ton père. »

Jenna s’arrêta une minute pour remettre de l’ordre dans sa tête. Cette conversation devait forcément blesser sa cousine et même si elle était en colère contre elle, elle ne voulait absolument pas lui faire de mal. Mais c’était apparemment impossible.

« Je croyais que tu pouvais pas la blairer celle-là ! Je comprends pas… Je sais plus… Enfin… Je t’ai toujours tout dit… Regarde ce soir ! T’es la première personne que je vais voir quand y a un truc dans ma vie… Pourquoi tu me mets à l’écart de la tienne ? »

Ok, niveau explication, y avait mieux quand même mais là, Jenna était un peu perdue. Elle avait un nœud dans le ventre et une furieuse envie de partir en courant pour aller hurler. Elle détestait être comme ça, sur les nerfs mais surtout faire des reproches à ses proches. C’était pas sa partie préférée des relations humaines. Pourtant, elle ne pouvait pas faire l’autruche non plus ni même ne plus jamais adresser la parole à Elyon.

Elyon ne comprenait plus rien au comportement de sa cousine et elle se sentait complètement perdue. Jamais Jenna n'avait manifesté une telle attitude de rejet à son égard, et ce qui était totalement contradictoire, c'était que c'était elle qui était venue chez elle. La Dryade attendait qu'elle s'explique, elle ne voyait pas ce que Jenna avait de si horrible à lui reprocher.

- Tu ne m’as rien dit Ely ! T’es partie en Écosse toute seule… Enfin non ! Pas toute seule puisque tu as pris la peine de prévenir Aaron et sa sœur pour qu’ils t’accompagnent au chevet de ton père.

Elyon s'était attendu à tout, sauf à cela. Dans un premier temps, elle n'avait tout simplement pas parlé de l'état de son père, à personne. Ensuite, tout s'était précipité ... Un guérisseur de Sainte Mangouste lui avait conseillé de revenir au plus vite accompagnée de ses proches.

- Quoi ? Mais il est pas question de ...

Mais elle ne put continuer, car Jenna lui coupa la parole.

- Je croyais que tu pouvais pas la blairer celle-là ! Je comprends pas… Je sais plus… Enfin… Je t’ai toujours tout dit… Regarde ce soir ! T’es la première personne que je vais voir quand y a un truc dans ma vie… Pourquoi tu me mets à l’écart de la tienne ?

C'en était trop. Elyon sentit sa colère monter en flèche, elle ne supportait pas le procès d'attention de sa cousine, qui pourtant avait raison, sur toute la ligne.

- Non, ce n'est pas vrai ... Et tu sais que c'est faux ! Quand ... Un Médicomage m'a conseillé de revenir, je l'ai fait, et j'ai prévenu Nymphadora parce que ... Enfin, tu sais très bien pourquoi. Je ne pensais pas qu'il ... qu'il allait ... T'es la première personne que j'ai prévenu quand ... il a ... il est ...

Elyon ne trouvait plus ses mots tant les émotions se bousculaient. Elle avait toujours été secrète, c'était un fait. Sauf pour Jenna. Mais c'était vrai que depuis quelques temps, elle n'avait plus eu le réflexe d'aller trouver Jenna quand quelque-chose n'allait pas.

- Qu'est-ce ... qu'est-ce qui te fait dire ça ... ?

Elle ne supportait pas de voir sa cousine contre elle, ni l'idée de lui avoir donné le sentiment d'être lésée et ne savait pas quoi faire pour s'amender.

En entendant les explications de sa cousine, Jenna leva les yeux au plafond avant de soupirer une énième fois tout en hochant la tête de droite à gauche. Son attitude devait sans doute paraître énervante mais la jeune sorcière était agacée de constater qu’Elyon de reconnaître qu’elle avait vu juste. Comment pouvait-elle la croire alors qu’elle savait qu’Elyon était présente à l’académie avant de se rendre au chevet de son père. Elle avait bien pris le temps de prévenir les jumeaux Fillarius, c’était trop lui demander de faire un crochet par sa classe ou même de lui envoyer une beuglante à la limite ! Apparemment oui.

« Si tout ce que je t’ai dit est faux alors pourquoi ? Pourquoi t’as continué à me mettre à l’écart là-bas ? On s’est à peine parlé, j’avais l’impression de pas être à ma place là-bas… »

Mal à l’aise avec ce qu’elle venait de dire, Jenna marqua une pause pour reprendre ses esprits. Elle se trouvait parfaitement égoïste de déballer tout ça alors qu’Ely venait de perdre son père.

« C’est pas… Écoute, je suis désolée… Je peux pas comprendre ce que tu ressens et je te ferais pas l’injure d’essayer de me mettre à ta place… C’est juste que… Je sais pas ! J’aurais jamais cru ne pas faire partie de ceux sur qui tu comptes quand tu vas pas bien… »

Jenna marque une nouvelle pause, sa voix se faisait plus étouffée au fond de sa gorge et elle sentait ses yeux lui brûler. Elle avait toujours était très proche d’Elyon, enfin pas toujours mais disons surtout depuis l’instant où elle devint moins pénible pour son aînée. Jenna n’avait pas de sœur mais quelle importance puisqu’Ely occupée cette place dans son cœur. Seulement, elle avait la triste impression que depuis qu’elle était venue s’installer en France, depuis qu’elles étaient plus proches géographiquement l’une de l’autre, elles se parlaient beaucoup moins qu’avant. Un triste sourire s’étira sur ses lèvres à cette pensée.

« Mais tu sais le pire ? C’est Duncan qui m’a appris que t’avais un mec ! »

Quelle claque elle s’était prise ce soir-là, lorsqu’en enfin elle avait décidé de repointer le bout de son nez parmi les siens. Au repas funèbre de son oncle. Tout ce qu’elle voulait c’était retrouver Ely pour la prendre dans ses bras mais elle n’était pas là. À la place, elle était tombée sur leur cousin Duncan qui lui avait gentiment expliqué où se trouvait la jeune femme mais surtout avec qui.

« Alors tu vois… Comment tu veux que je me sente pas mise à l’écart de ta vie ? »

Les bras en l’air, un sourire crispé sur les lèvres qui devait empêcher ses larmes de couler, Jenna fit quelques pas en arrière pour mettre un peu de distance entre elles. Elle était triste mais surtout jalouse ! Jalouse que la terre entière en sache plus sur ce qui importait pour Elyon qu’elle. Et ça l’agaçait encore plus car elle se détestait d’être aussi égocentrique.

Offusquée, Elyon ne trouva même pas quoi répondre à Jenna. Elle ne lui avait pas moins parlé qu'aux autres, à part pour l'organisation des funérailles. Depuis qu'elle avait ouvert les vannes dans les bras d'Yngvar et d'Irmine, elle était à fleur de peau, riant et pleurant pour un rien, alors les accusations de Jenna achevèrent de tirer des grosses larmes de ses yeux.

Elle ne savait plus quoi dire pour se justifier, elle voulait se confondre en excuses, mais en même temps elle ne savait pas de quoi elle devait s'excuser. D'avoir été anéantie, dans une attitude de repli ? De ne pas avoir su aller vers les autres ? De ne pas leur avoir imposé sa peine ?


- Mais tu sais le pire ? C’est Duncan qui m’a appris que t’avais un mec !

Elle eut l'impression d'un nouveau coup derrière les genoux et tourna la tête. Elle n'avait parlé à personne de sa relation avec Yngvar, du moins techniquement, c'était lui qui en avait parlé à Aaron et à leurs autres connaissance. Alors il était logique sans pour autant être normal que Jenna ne le sache pas ...
Que celle-ci en soit blessée, elle le comprenait cependant, et s'en voulu encore d'avantage.

- Alors tu vois… Comment tu veux que je me sente pas mise à l’écart de ta vie ?

Elle cacha sa tête dans ses mains. Jamais, jamais elle ne pourrait écarter Jenna de sa vie.

- C'est l'impression que ça te donne ? A aucun moment je n'ai voulu te charger de ma peine parce qu'il ... n'y a rien à y faire. Oui, j'étais avec Irmine et Yngvar qui sont venus de France pour me voir le jour de l'enterrement de John - Elyon avait toujours appelé son père par son prénom. Mais s'ils n'étaient pas venu, je serais restée seule.
Je ne t'ai pas parlé d'Yngvar parce que ... Je ne suis pas prête à ... c'est trop ... ça me fait ... j'ai ...

Elle ne trouvait plus ses mots. Trop récent, trop fort, pas prête à vivre pleinement une relation avec un autre homme, à en parler à quelqu'un qui plus était avec quelqu'un de la famille, trop bizarre, trop beau aussi, ça lui faisait peur et elle était terrifiée. Mais elle n'avait pas envie d'en parler.

- Bordel, Jenna ! J'ai jamais voulu ça !

Un petit rire sarcastique s’échappa de sa bouche tandis qu’elle haussait les épaules alors que sa cousine s’étonnait de découvrir ce qu’elle ressentait. Bah oui c’est exactement l’impression que ça lui donnait ! Et c’était quoi cette excuse à la noix là ? Comme quoi elle ne voulait pas l’accabler avec son chagrin… Mais enfin, elles étaient de la même famille ! Pour le meilleur et pour le pire… Debout face à sa cousine, Jenna grinçait des dents pour s’empêcher de se mettre à hurler de nouveau. Elle était en colère, vraiment, parce qu’elle en avait plus qu’assez d’entendre que ça avait été trop difficile pour Ely de se confier à elle. Et pourquoi ? Oui pourquoi ?

« C’est ça le problème Ely ! Je sais plus ce que tu veux vraiment. »

Non, ça c’est sûr, Jenna était complètement paumée. Elle s’était toujours imaginée proche de sa cousine, vraiment proche et maintenant elle venait de découvrir qu’elle avait des secrets pour elle. Levant les yeux en clignant les paupières pour chasser ses larmes, Jenna soupira, espérant reprendre son calme.

« Ecoute ! Laisse tomber, c’est ma faute tout ça ! J’ai encore dû trop m’emballer dans mon coin… Faut croire que je me suis encore fait des tonnes d’idées et que… Bref, je t’embêterai plus ! Cette fois j’ai bien compris ! »

Oh ça oui elle avait compris ! Pas la peine de lui faire un dessin, Ely et elle n’avait pas la même façon de concevoir leur lien. Cette fois elle ne put pas retenir ses larmes et dû tourner la tête pour frotter ses joues humides avant de pouvoir de nouveau regarder sa cousine.

« C’est juste… Si ça t’ennuyait que je sois toujours dans tes pattes, j’aurais préféré que tu me le dises. J’aurais pu le comprendre et puis la franchise c’est plutôt notre truc à toutes les deux… Là franchement c’est dur ! »

Devant la réaction de Jenna, Elyon était complètement démunie et  ne comprenait pas. Comment aurait-elle pu savoir ce qu'elle pensait ? Jenna ne se confiait pas souvent à elle ... Tous leurs échanges étaient anecdotique, l'accusation était difficile à avaler pour Elyon. Et elle n'avait pas la force de faire face à cela.
Sans plus aucune gêne, l'auteure fondit en larmes, marmonna des excuses et rentra chez elle. Savoir qu'elle avait déçu Jenna c'était pire que tout. Elle vivait déjà assez mal le fait d'avoir peiné Yngvar et Irmine ... de les avoir inquiété au point qu'ils viennent en Ecosse, mais devant Jenna, elle finissait d'être dévastée.

En rentrant chez elle, Elyon eut l'impression d'avoir la confirmation qu'elle n'était pas faite pour créer des liens avec les gens. Elle ne savait pas les entretenir, les garder, elle ne savait pas prendre soin des gens. Elle n'aurait jamais du s'attacher, l'attachement ça fait beaucoup trop souffrir.

Mais si aujourd'hui, Jenna, Yngvar et Irmine n'était plus dans sa vie elle savait qu'elle ne s'en remettrait pas. Ah ! Quel foutu paradoxe !

Elle alla s'affaler sur son canapé. C'était le coup de grâce que venait de lui assener sa cousine en réponse à sa négligence. Mais elle n'avait malheureusement plus les mots, plus les arguments et surtout plus la force de réfuter ses propos.
Elle s'en voulait aussi, elle avait l'impression d'avoir brisé quelque-chose.

Et puis finalement, elle se releva et sortit de chez elle dans la nuit avec la ferme intention de retrouver la rousse avant qu'elle ne disparaisse. Heureusement, Jenna n'était pas allée bien loin. ( HJ : NON T'ES PAS ALLEE BIEN LOIN !) Elle l'avait rattrapée en quelques minutes.

- Jenna ...

Elle lui attrapa le bras et l'incita à se retourner pour lui dire :

- Je ... J'ai ...

Elle soupira et finit par lâcher :

- J'ai envie de cookies. Et d'un bouquin de Poe.

C'était ce qu'elles faisaient quand elles étaient plus jeunes : une fournée énorme de biscuits, pour elles deux, qu'elles dévoraient en se lisant des histoires effrayantes jusqu'à s'endormir d'épuisement à une heure avancée de la nuit. C'était des souvenirs très heureux pour Elyon, des moments qu'elle n'avait partagé qu'avec Jenna, personne d'autre ...

Immobile devant la porte d’entrée, la main posait sur la poignée, Jenna attendait la réaction de sa cousine. La bouche pincée en une grimace qui devait ressemblait à un sourire encourageant, elle fixait son visage avec appréhension. Elle ne savait pas tellement à quoi s’attendre et aurait sans doute préféré qu’Ely se mette à hurler elle aussi, parce qu’elle savait bien faire ça aussi. Mais rien. Fatiguée de se disputer, de crier, mais surtout de ne pas entendre de réponses à ses craintes, Jenna hocha la tête résignée en se mordillant l’intérieur de la bouche avant de saluer son hôte d’un signe bref de la main et de partir.

La gorge nouée, les larmes au bord des yeux, la jeune rousse eut beaucoup de mal à ne pas se retourner en entendant les marmonnements d’excuse de sa cousine mêlés à ses sanglots. Mais elle eut vraiment la sensation qu’on lui poignardait le cœur lorsqu’Ely referma la porte derrière elle, la laissant seule dans la rue. Elle avait envie de pleurer et de hurler en même temps, et peut être même de frapper quelque chose ou quelqu’un très fort. Non elle avait surtout envie de disparaître, de prendre ses affaires et tout laisser tomber derrière elle sans rien dire. Mais elle n’était même pas capable de transplaner pour rentrer chez elle sans finir complètement désartibulée. Alors traîna ses pieds sur les pavés, remontant la ruelle peu éclairée, la tête enfoncée dans les épaules, fixant le sol.

Pourquoi avait-il fallu qu’elle crie sur Ely ? Ce n’était pas ce qu’elle voulait… Tout ce qu’elle voulait c’était la serrer dans ses bras pour se plaindre de l’abomination qui lui servait de directrice. Se blottir avec elle sous un gros plaid écossais qui grattait et sentait encore beaucoup trop le mouton pour déblatérer des tonnes d’insanités sur De Beauregard et le gouvernement. Au lieu de ça, elle traînait sa carcasse déprimée quelque part dans Bois-Doré, en se maudissant d’être comme elle était, impulsive et jalouse. Trop occupée à se morfondre, elle trébucha sur un pavé et se rattrapa de justesse à un lampadaire. Elle était fatiguée… Et malheureuse ! Le front posé sur le métal froid du réverbère, elle se laissa aller à pleurer bruyamment se cognant la tête doucement pour se punir d’avoir été si stupide. Elle était persuadée qu’Ely ne voudrait plus jamais lui parler ou alors elle se montrerait froide avec elle, comme elle l’était avec grand-tante Sidheag lors des rares repas de famille où elles avaient à endurer sa présence. Elle ne voulait pas être devenue la nouvelle affreuse Sidheag pour Ely… À cette pensée, elle se mit à gémir comme une idiote dans la rue en marmonnant des propos plaintifs incohérents entre deux sanglots bruyants. Et puis sa cousine surgit de nulle part, la forçant à se retourner pour lui faire face.

« Qu’est-ce que… »

Un peu perdue, elle la regarda reprendre son souffle et bégayer. Elle ne pleurait plus, la surprise lui ayant ôté le besoin de se morfondre sur son triste sort mais elle avait toujours ses yeux luisants de larmes et ils s’écarquillèrent de surprise lorsqu’Ely parla enfin. Des cookies et Poe ! En une fraction de seconde, elle se remit à pleurer en se jetant dans les bras de sa cousine.

« Oh Ely…. Je suis tellement désolée ! Je voulais pas… »

La tête enfouie dans le cou de sa cousine, Jenna pleurait de nouveau mais de soulagement. Elle se voyait déjà être forcée de s’asseoir à côté de l’horrible Sidheag à noël et devoir supporter ses sarcasmes sur le désastre qu’était devenue sa vie.

« Je t’ai dit des choses horribles ! Je suis vraiment une horrible personne ! »

Ses bras enroulés autour des épaules d’Ely, Jenna serrait le gilet de sa cousine entre ses doigts.

« Je veux plus… Je déteste tellement quand on se dispute ! »

Déterminée, Jenna finit par se détacher d’Ely pour se frotter les yeux, le nez et les joues dans l’espoir de se rendre plus présentable avant de lui sourire en riant légèrement.

« T’es comme ma sœur Ely… Ce qui veut dire que je tiens vraiment… Vraiment beaucoup à toi… J’ai pas envie de te perdre ! Jamais… Je suis désolée pour tout ça, je suis vraiment la pire des idiotes… Hystériques ! »

Elle marqua une pause et en profita pour renifler une énième fois avant de rire doucement.

« On mettra plein de pépites au chocolat dans nos cookies ? »

Elyon détestait quand elle se disputait avec Jenna. Elle n'était pas le genre de fille à se taire lorsque quelque-chose ne lui plaisait pas et le conflit ne lui faisait pas peur, mais s'embrouiller avec Jenna était une chose dont elle avait véritablement horreur et elle était malheureuse à l'idée que quelque-chose puisse être brisé entre elles.
Fort heureusement, il n'en était rien et Jenna se jeta dans ses bras. Elyon la serra fortement contre elle, riant et pleurant à la fois.

- Je suis désolée, Jenna, je suis tellement désolée, je ne voulais pas que tu aies l'impression que je t'écartais ! Je ... Je ... Je n'ai pas d'excuses ... J'étais juste ... trop conne.

Mais alors que Jenna se confondait en excuses, la dryade secouait la tête en les réfutant une par une.

- Non ! N'en fait rien ! C'est moi qui suit désolée, mon attitude était inadmissible !

Mais Jenna ne l'entendait pas non plus de cette oreille, elles finirent pas s'arrêter toutes les deux.

- Jenna ... je ne supporte pas l'idée d'être fâchée avec toi ... tu es la seule famille qui j'ai ici ... Je ne pourrais pas vivre loin de toi ...

Elle serra encore une fois sa cousine entre ses bras, puis finit par la lâcher en approuvant sa suggestion.

- Oui, des grosses ...

Elle passa un bras autour de la taille de la jeune femme et ensemble elles revinrent vers sa petite maison.