Quelques jours auparavant, Sophie avait reçu un courrier de Merlin lui demandant s'il serait possible qu'ils se voient. La jeune femme avait accepté avec plaisir, contente de pouvoir partager un moment avec ce jeune homme qu'elle avait gardé en tant que baby-sitter lorsqu'ils étaient tous deux beaucoup plus jeunes.

Elle lui avait proposé de se retrouver au salon de thé de Bois-Doré, un samedi après-midi, sachant que c'était la solution la plus facile pour un étudiant de l'Académie Beauxbâtons.

La jeune femme était arrivée un peu plus tôt que prévu et, déjà attablée, n'avait pu résister à la tentation de manger une part de cheesecake. Se retrouver là lui rappela des souvenirs, principalement avec Gudule qui était capable d'avaler un gâteau entier à elle toute seule, et elle eut un sourire involontaire.

Bientôt le jeune homme apparut et Sophie lui fit signe. Se levant pour l'accueillir, elle lui fit savoir combien sa lettre lui avait fait plaisir.
- Alors, comment vas-tu ? lui demanda-t-elle alors qu'ils prenaient place autour de la table.

Merlin était resté assez évasif dans sa lettre, expliquant à Sophie qu'il souhaitait la voir pour lui parler d'un sujet qui le préoccupait. Connaissant le jeune homme, la Sénatrice se doutait qu'il devait s'agir d'un sujet qui lui tenait beaucoup à coeur. C'est pourquoi elle n'avait guère tardé à lui répondre positivement.

Lorsqu'elle le vit passer la porte du salon de thé, elle eut le pressentiment que, vraiment, quelque chose l'inquiétait. Pour le moment, elle ne savait pas quel était l'objet de ses inquiétudes, mais elle était sûre que cela ne saurait tarder.
- Je vais très bien, merci !

Elle préféra passer sous silence les problèmes qu'elle rencontrait de plus en plus pour défendre la cause des hybrides au sein du Gouvernement. A la place, elle préféra lui parler d'un événement plus léger.
- J'ai vu ton frère dernièrement, lui apprit-elle. Ca m'a fait plaisir de lui parler, même si ce n'était que très rapidement.

Un serveur s'approcha d'eux et ils purent commander. Sophie reprit une part de cheesecake, sous le regard surpris du serveur qui devait se demander comment une jeune femme aussi fluette pouvait avaler deux parts de cheesecake en si peu de temps, accompagnée d'un thé. Lorsqu'il repartit, Sophie sourit à Merlin et haussa les épaules d'un air faussement désolé :
- Leur cheesecake est vraiment trop bon !

Sophie sourit à Merlin tandis qu'elle constatait que, contrairement à elle, il ne prenait rien à manger. Elle se fit la réflexion qu'il avait tort, les gâteaux dans ce salon de thé étant tout bonnement délicieux. Elle était sur le point de le lui dire, afin de l'encourager à en prendre une part, mais il la devança en abordant directement le sujet qui le préoccupait.

La jeune Sénatrice avait fort bien compris que le jeune homme avait demandé à la voir afin de lui parler de quelque chose, mais elle ne s'était pas forcément attendue à ce qu'il soit aussi direct, écartant d'un revers de main l'idée même qu'il ait pu avoir envie de la voir pour passer un petit moment avec elle. Cela aurait pu la vexer, mais elle connaissait suffisamment Merlin pour savoir que cela reflétait, en réalité, l'importance que le sujet qu'il souhaitait aborder avec elle représentait pour lui.

Elle lui sourit gentiment et secoua la tête :
- Effectivement, c'est ce que le ton de ta lettre m'a laissé penser. Encore que, ça aurait pu être sympa ! ne put-elle s'empêcher de faire remarquer.

Tout inquiet qu'il était, Merlin lui dit tout de go ce qui le préoccupait tant. Elle ne sut cacher sa surprise lorsqu'il lui apprit, dans la même phrase, avoir un petit ami et que ce dernier était hybride. Elle le dévisagea un instant sans parler, encore étonnée par ses propos. Elle connaissait son orientation sexuelle, mais elle n'était pas au courant pour autant de ce qu'il avait un petit ami.
- Tu as un petit ami ?!

Avant même qu'il puisse répondre, elle se reprit et ajouta d'un air un peu plus gêné :
- Désolée, je suis surprise, c'est tout. Mais je suis contente pour toi !

Le serveur arriva alors avec leur commande et une fois qu'il fut reparti, Sophie  prit sa tasse de thé entre ses mains.
- Qu'est-ce qu'il se passe avec Elwin alors ? C'est son statut d'hybride qui te pose un problème ?

Tandis que Sophie buvait son thé, Merlin lui expliqua ce qui le préoccupait au sujet de son petit ami. Il s'exprima d'une traite, lançant plusieurs informations à la fois. Face au flot de paroles du jeune sorcier, qui exprimait clairement son angoisse, la jeune femme dut se concentrer. Elle finit par reposer sa tasse et leva une main pour signifier au jeune homme qu'il allait un peu trop vite pour elle.
- Attends, attends. Tu vas trop vite pour moi, Merlin. Tu parles de différentes choses en même temps, lui fit-elle remarquer.

Enumérant sur ses doigts, elle reprit ce qu'il lui avait dit :
- D'abord tu me dis avoir peur de le perdre, qu'il lui arrive malheur, ensuite, tu me parles de Goulven, d'une rencontre que vous avez eue avec lui, puis du fait qu'Elwin veut aller changer les choses au gouvernement et enfin que tu ne peux pas le laisser tomber. Ca fait beaucoup d'un coup !

Elle lui sourit d'un air embêté et l'invita à reprendre plus posément chacun des points mentionnés.
- Explique-moi d'abord pourquoi tu as peur qu'il lui arrive malheur. Est-ce qu'il a reçu des menaces quelconques ?

Pour le moment, elle préférait ne pas penser à ce que Goulven, un ami qui lui était proche, avait à voir là-dedans. Elle souhaitait pouvoir aider au mieux Merlin et lui donner ainsi l'occasion de bien préciser ses pensées.

Sophie opina de la tête quand Merlin lui expliqua, en substance, que son petit ami subissait les mêmes brimades que tous ceux appartenant à la communauté des hybrides, ni plus ni moins.
- D'accord. C'est déjà rassurant de savoir qu'il ne reçoit pas des menaces directement...

Elle fit une pause et décida d'attaquer sa seconde part de gâteau.
- Et tu mentionnais Goulven le Guerrec ? Pourquoi êtes-vous allés le voir ?

La jeune femme se demandait bien ce que deux jeunes gens comme eux pouvaient avoir eu comme idée pour aller trouver l'avocat.

Sophie écouta le jeune homme lui exposer les raisons qui les avaient amenés, lui et son petit ami, à aller voir Goulven. Elle ne pouvait que comprendre la volonté d'Elwin de s'engager dans la politique afin de changer les choses et défendre les droits de ceux qui faisaient partie de sa communauté. Elle ne pouvait cependant qu'approuver Merlin lorsqu'il lui disait avoir essayé de faire comprendre à son petit ami que cela ne serait pas facile de défendre les droits des hybrides même s'il en était un.
- Je dirais même plus : c'est quasiment impossible de défendre les hybrides au sein du Grand Conseil quand on en est un soi-même. Il faudrait d'abord pour ça qu'il puisse y entrer et avec ses origines et la politique actuelle, cela me semble très difficile.

Elle marqua une pause, songeant aux départs fortement encouragés quand ils n'avaient carrément pas été imposés, de plusieurs collègues hybrides du Grand Conseil qui, pourtant, faisaient du bon travail.
Elle sortit toutefois de ses pensées et prit une gorgée de son thé:
- Et alors ? Que Goulven vous a-t-il dit ?

Sophie attendit la réponse de Merlin à sa question en mangeant une bonne partie de son gâteau. Cependant, elle faillit s'étouffer en écoutant les propos du jeune homme. Elle toussa quelque peu, se tapa énergiquement la poitrine, avant de prendre une gorgée de son thé tout en indiquant de la main à Merlin que ça allait.

Essuyant une larme qui avait perlé au coin de ses yeux couleur noisette, elle dévisagea Merlin comme s'il venait de lui dire que Goulven soutenait la politique d'Augustus Courtois :
- Quoi ?!

Elle avala sa salive et s'éclaircit la voix, puis elle secoua la tête d'un air incrédule et reprit :
- Mais Goulven doit savoir, commença-t-elle d'une voix forte.

Elle s'interrompit, jetant des coups d'oeil à la ronde, en se rendant compte qu'elle avait peut-être parlé trop fort dans ce salon de thé, et reprit, à un volume sonore plus approprié à ce genre d'établissement :
- Mais Goulven doit savoir que ton frère soutient la cause pro-hybride. Comment pourrait-il insinuer que lui ou toi puissiez être une menace pour Elwin ? En plus, tu sors avec lui ! conclut-elle.

Sophie ne revenait toujours pas de ce que Merlin lui disait. Elle connaissait suffisamment bien Goulven pour trouver qu'une telle réaction venant de sa part n'était pas habituelle. Elle serait probablement restée silencieuse, cherchant à comprendre les raisons qui auraient poussé son ami à se montrer suspicieux à l'égard de Merlin, si le jeune homme n'avait pas émis de doute sur le fait que Goulven soit pro-hybride.
- Si, si, Goulven est pro-hybride, dit-elle sans l'ombre d'une hésitation. C'est pour ça qu'il a eu des soucis avec le Grand Conseil. Il ne fait pas bon être hybride ou pro-hybride ces temps-ci...

Elle but une gorgée de son thé et ajouta :
- Je suis quand même surprise qu'il ne sache pas que ton frère est pro-hybride. Certes, il ne le crie pas sur tous les toits, mais je crois que ça se sait quand même, non ?

La jeune femme fut décontenancée par les dernières paroles de Merlin. Ils demeurèrent silencieux un instant, Sophie réfléchissant à ce qu'elle pouvait faire pour lui ainsi que pour son petit ami. Cependant, rien ne lui vint à l'esprit. Elle se promit d'y penser plus tard et c'est ce qu'elle dit à Merlin avant de décider de passer à un autre sujet.
- Alors, dis-moi, comment ça se passe à l'Académie ? J'ai entendu dire que votre directrice se montre très zélée en ce qui concerne l'application des décrets en matière d'ouvrages écrits par des hybrides. Je suppose aussi qu'il doit y avoir pas mal de tension entre élèves, ou est-ce que je me trompe ?

Sophie but une gorgée de son thé tandis que Merlin lui confirmait ce qu'elle avait déjà pu entendre de la part de personnes extérieures à l'établissement sorcier. Elle fut tout de même consternée d'apprendre que les rumeurs selon lesquelles la directrice de l'Académie de Beauxbâtons n'avait pas hésité à brûler les ouvrages d'auteurs hybrides et pro-hybrides devant ses élèves étaient vraies.
- C'est encore pire que ce que j'imaginais, commenta-t-elle d'un air sombre.

Par cette remarque, elle faisait aussi bien allusion à l’acte lui-même qu’à ce que cela signifiait en termes de liberté de la presse : les journaux, qui n’avaient rien révélé de cette abomination, se contentant de parler de confiscation, étaient bel et bien à la solde du Grand Conseil qui leur dictait ce qu’ils devaient écrire. Si elle l’avait su, elle n’avait osé imaginer à quel point cela était vrai.

Cependant, elle fut encore plus alarmée par ce que lui révéla Merlin :
- Des révoltes ?! reprit-elle d'un air franchement étonné.

Aucune rumeur à ce sujet n’était parvenue jusqu’à elle.
- Mais comment ça, des révoltes ? Que s'est-il passé ? demanda-t-elle en baissant la voix, craignant que d’éventuelles oreilles indiscrètes s’intéressent à leur conversation.

Si elle était pour la transparence et dire tout haut ce que d’autres s’évertuaient à faire taire, elle pensait plus prudent, en particulier pour Merlin, que cela ne s’ébruite pas trop… Au moins pour le moment et tant qu’elle n’aurait pas posément réfléchi à la manière d’utiliser cette information…

[désolée pour la réponse tardive...]

Sophie écarquilla les yeux, estomaquée par ce que Merlin lui racontait, d'un air sombre. Comme pour la confiscation des livres écrits par les hybrides et pro-hybrides, la presse s'était abstenue de rapporter les incidents survenus à l'Académie Beauxbâtons...
- Je l'espère aussi, dit-elle gravement alors que Merlin lui faisait part de son souhait de voir la rébellion au sein de l'établissement magique se faire de manière plus pacifique.

Elle-même était une pacifiste convaincue et pensait que tout problème devait et pouvait être résolu sans avoir recours à la violence. En tout état de cause et étant donné la situation actuelle au sein de la société magique, elle n'était pas convaincue que l'emploi de moyens brutaux était à même de rallier la population à la cause des hybrides.
- Et est-ce que tu saurais me donner le nom des professeurs qui ont fait parti de cette attaque contre la directrice ? Et est-ce que tu sais quelles mesures elle a prises à leur encontre et, d'ailleurs, à celle des étudiants qui s'en sont également pris à elle ?

Sophie avait dans l'idée de contacter lesdits professeurs pour avoir des informations plus directes sur ce qui s'était passé et sur ce que Madame de Beauregard faisait et envisageait de faire au sein de l'établissement magique.

Sophie nota mentalement le nom de Tillier ainsi que ceux des élève impliqués dans cette insurrection contre la directrice de Beauxbâtons, même si elle ne pensait pas, au contraire de la professeur mentionnée, les contacter. Elle fut surprise de connaître la raison pour laquelle cette mini-révolution avait éclaté:
- Le renvoi d'une élève ? Elle doit avoir une influence importante pour que des gens risquent eux-mêmes le renvoi pour elle... Tu n'as pas idée de qui il s'agit ? Et d'ailleurs, où est maintenant cette élève ?

Elle posait la question car la manière dont Merlin décrivait les événements lui laissait penser qu'il était vraiment resté en-dehors de cette histoire. Elle s'aperçut alors qu'il n'avait pas répondu à ses questions concernant les éventuelles conséquences subies par ceux qui avaient eu l'audace de se dresser sur le chemin de la directrice :
- Et Madame de Beauregard n'a pas pris de mesures particulière contre ceux qui se sont révoltés contre elle ?

Sophie nota mentalement les quelques informations que Merlin avait été en mesure de lui donner et resta silencieuse un moment, plongée dans ses réflexions. Elle avait l'impression que la situation des hybrides, et de la société sorcière en général, empirait de jour en jour et cela ne la rassurait nullement de voir que ces graves problématiques se retrouvaient au sein de l'établissement Beauxbâtons que fréquentait Merlin.
- Nous vivons une période vraiment troublée, finit-elle par commenter d'un air sombre, plus pour elle-même que pour Merlin.

Elle s'aperçut que le jeune homme l'observait et elle se secoua, se forçant à lui sourire :
- Excuse-moi, je ne voulais pas t'inquiéter.

Si Sophie ne pouvait se reprocher de ne pas avoir agi en faveur de la cause des hybrides, elle se demandait toutefois si elle n'avait pas manqué de faire quelque chose, si elle n'aurait pas dû être plus agressive envers la politique menée par le consul. En tout cas, sa conversation avec Merlin la confortait dans sa volonté de contrer sa politique anti-hybride et elle était déterminée à trouver des appuis dans les différentes sphères de la société sorcière, convaincue qu'une action coordonnée à différents niveaux était la clé du succès.

C'est d'un air beaucoup plus confiant qu'elle sourit à son jeune protégé avant de s'apercevoir qu'il était temps pour elle de le quitter :
- Merlin, ça m'a fait plaisir de te voir et de discuter avec toi, même si les sujets abordés étaient plutôt... sérieux... Restons en contact veux-tu ? Et si toi ou ton petit ami avez besoin de quoique ce soit, n'hésite pas à venir me voir : je ferai tout ce que je peux pour vous aider.

Elle appela le serveur à qui elle demanda et régla la note, refusant que le jeune adolescent paye quoique ce soit.