Première soirée a Bois-Doré depuis... des mois. Yngvar n'était même pas capable de se souvenir de la durée de son « voyage ». Ces quelques mois loin de la France furent ponctués d'ivresse passagère, puis l'ivresse devint une vieille amie qu'il retrouvait le soir. Le norvégien n'était sobre que lors de ses heures de travail, et elles n'étaient pas nombreuses. Il se levait le matin encore soûl de la veille, prenait le temps de se réveiller et partait directement pour le lieu qu'il étudiait. Ce lieu variait suivant les pays, mais la plupart du temps il partait pour des forêts oubliées, près de cours d'eau presque à sec. Des endroits rarement visités des sorciers d'aujourd'hui, mais très fréquenté des siècles auparavant.
Après sa « journée » de travail, Yngvar se rendait directement dans un pub et commandait un verre d'hydromel, sa boisson favorite. Ayant oublié toutes ses bouteilles a Bois-Doré, il devait se contenter du liquide ambré dilué dans de l'eau, que vendaient les bars dans lesquels il se rendait. Il y avait ses habitudes et connaissait aussi les habitués. Il croisait souvent de jolies femmes en manque d'attention et il mit plusieurs semaines à finalement accepter leurs avances. Petits à petits il ne passa ses nuits qu'en charmante compagnie et oublia la raison pour laquelle il se soûlait et partageait son lit avec des sorcières sans importance.

Mais vint le moment de rentrer. Cela n'avait pas été un choix, on lui avait imposé de revenir en France, son travail n'y était pas fini. C'est donc quelques jours avant noël qu'Yngvar Jørgensen transplana sur la petite place du village français. Il se posa la question : devait-il rentrer chez lui mettre de l'ordre et... déprimer ? Ou pouvait-il s'accorder un petit verre dans un lieu familier ? Il ne mît pas longtemps à prendre sa décision et c'est d'un pas traînant qu'il prit la direction du Troll Farceur, non sans se demander qui avait choisi ce nom minable.
C'était la tombé du jour, le ciel s'assombrissait lentement et quelques flocons de neige firent leur apparition. La neige tenait déjà bien au sol et le bruit des pas du norvégien résonnait dans le silence de cette fin de journée. Yngvar souriait, il adorait la neige. C'était un petit bout de chez lui qu'il retrouvait ici, à des milliers de kilomètres de son fjord.

Un petit sourire nostalgique se dessina sur ses lèvres lorsqu'il poussa la porte de la taverne. C'était tout un tas de souvenirs qui refaisaient surface d'un coup, comme une boule de neige en pleine figure, sauf qu'elle n'était pas composée d'eau glacée mais de souvenirs. Une boule de souvenirs quoi. Des souvenirs heureux mais qui rendait Yngvar triste. C'était le passé, et un passé qu'il ne pourrait jamais oublier. Il voulait l'oublier, il voulait l'oublier elle. Se rendant compte que ses pensée divaguaient vers une personne à laquelle il ne voulait pas penser (et parce qu'il était planté au milieu du pub), il s'avança vers le bar, prit un tabouret et commanda de l'hydromel.

Les vacances de noël approchaient à grand pas, avec toute l’impatience et l’excitation qui l’accompagnaient traditionnellement. Et bien que l’ambiance au château soit plus que tendue depuis la rentrée, il semblait que les fêtes aient réellement le don de détendre l’atmosphère et mettre tout le monde d’accord. Il faut dire aussi que la vue des innombrables décorations étincelantes installées un peu partout dans l’école égayait les esprits et les cœurs, ce qui n’était pas plus mal après les mois infernaux que leur avaient fait vivre la directrice et ses nouvelles règles. Une vraie peau de harpie celle-là… Et encore, c’était une véritable insulte pour la communauté des harpies !

Assise derrière son bureau, dans sa salle de classe, les cheveux ébouriffés comme à l’accoutumer pour une fin de journée, Jenna avait le nez dans la dernière lettre que lui avait envoyé son amie Lucila. Bien que les nouvelles soient bonnes, la jeune sorcière ne pouvait s’empêcher d’arborer une mine déprimée en lisant le parchemin qu’elle tenait dans sa main. Qui aurait cru que la jolie infirmière, récemment mariée avec Aaron, son meilleur ami, auraient quitté la France pour s’exiler en Angleterre ? Surement pas elle, ça c’est sûr ! Trop occupée à se morfondre sur son pas si triste sort que ça, la jeune femme ne prêtait même pas attention à ses élèves de sixième année qui quittaient la classe, fin du cours oblige, en passant devant elle et en lui souhaitant bonsoir. Heureusement pour elle qu’ils étaient habitués par sa nonchalance occasionnelle.

Un bruit de pétard résonna dans le couloir, la sortant de sa lecture et lui permettant de réaliser qu’elle n’avait plus personne en face d’elle. Plissant les yeux face au vide de sa salle de classe, elle prit un quart de seconde pour réfléchir au pourquoi du comment avant de finalement se rendre compte que sa journée était enfin terminée. Plus que quatre jours à tenir bordel ! Rassemblant ses parchemins et les divers objets disposés sur le bureau, Jenna fila dans l’atelier attenant à sa salle de classe pour déposer tout son bordel avant de verrouiller la porte à grand coup de clé et de sortilèges. Mieux valait être prudente ! Hors de question que l’autre putois rousse mette le nez dans ses affaires…

Satisfaite de son action, elle quitta enfin la salle pour rejoindre les quartiers du personnel où elle espérait tomber sur Irmine. Raté ! Faut dire que ces derniers temps, la bibliothécaire ne sortait pas beaucoup de son antre. Dépitée, Jenna ne se retint pas de soupirer bruyamment, faisant ainsi vibrer ses lèvres en une grimace puérile qui attira l’attention de ses collègues présents sur elle. Quelle poisse ! Et en plus c’était sa journée d’inspection des couloirs ! Non mais là… Jetant un regard noir au tableau de service affiché sur le mur, Jenna se mit à grommeler, rentrant sa tête dans ses épaules en croisant les bras contre sa poitrine. Alors là… Elle pouvait toujours se le foutre au c**. Hors de question qu’elle perde une soirée à arpenter les couloirs pour fliquer les élèves que de toute façon elle ne punira pas. Quitte à fermer les yeux sur les conneries qu’ils faisaient, autant ne pas les voir du tout et pour bien, bien la faire chier, la jeune sorcière décida carrément de se barrer de l’école. Elle n’avait pas l’intention de déserter à moitié non plus ! Sans un mot d’explication, elle fit bien vite demi-tour pour quitter l’académie et transplana à Bois-Doré, direction le pub du troll farceur.

Ce n’était pas la première fois que la jeune femme s’y rendait seule pour y passer la soirée et ce ne serait sans doute pas la dernière, parole de Tillier. Au pire, elle pouvait toujours appeler sa cousine ou l’un de ses deux grands frères si ce n’est les deux pourquoi pas mais pas pour le moment. Là, il lui fallait vraiment une bière bien fraîche… Se hissant sur un tabouret du bar à côté d’un grand blond musclé, elle héla le patron dans l’espoir d’être servie et due presque s’avachir sur le comptoir pour attirer l’attention du bonhomme. Son regard croisa celui de son voisin pendant qu’elle remettait ses deux fesses sur sa chaise et elle lui adressa un sourire plus que forçait avant de détourner le regard dans le sens opposé. Pitiiiiiiiiiiiiiiié ! Vu sa carrure, à tous les coups c’était un joueur de Quidditch et avec son bol, ça allait sûrement être un ancien co-équipier d’Aaron ! La poisse… Avalant rapidement une gorgée de sa boisson à la bouteille, Jenna se tourna malgré tout vers lui

« Ok, je vais faire court… Joueur de Quidditch ? »

Comme phrase d’accroche, elle avait déjà fait mieux mais bon ça c’est sûr mais bon, elle n’avait pas non plus envie de se coltiner un gros lourd toute la soirée…

Un verre, deux, trois, quatre... Yngvar n'aurait sût dire à combien il en était lorsqu'il remarqua la présence d'une rousse assise à côté de lui. Il entendit d'abord sa voix, beuglant le nom du patron pour commander un verre, puis il son senti coude pousser le siens lorsqu'elle s'avachit sur le comptoir. Il finit par tourner la tête vers elle, curieux de voir quel bout de femme pouvait faire autant de bruit. Une chevelure rousse s'imposa à lui.

« Ok, je vais faire court… Joueur de Quidditch ? »

Ah ben tiens ! Elle avait un sacré culot celle là ! Plutôt que de s'énerver, Yngvar dégaina un sourire franc. Il en fallait beaucoup pour qu'il trouve quelqu'un désagréable.

« Pourquoi faire court ? J'ai tout mon temps »

Il se tourna vers son verre, le vida et fit signe a Joe, le barman, de lui en servir un autre.

« Yngvar Jorgensen, dit-il en lui tendant sa main. Et non je ne suis pas joueur de Quidditch même si hein, je pourrais ! »

Il eût un bref rire et une pensée pour Aaron qu'il n'avait pas vu depuis un long moment. Il se rendit compte qu'il n'avait prit des nouvelles de personne durant son exil. Irmine lui avait rendu une brève visite mais c'était il y à des mois et le manque d'avoir une vraie amie se faisait ressentir. Il se dit qu'il serait peut-être temps de la mettre au courant de son retour.
Et une gorgée de plus. Yngvar observa sa voisine en coin, cette petite rousse était plutôt à son goût. Pourquoi perdre les bonnes habitudes ?

« Eeeet... sinon ? Que fait une si jolie fille toute seule dans une bar ? »

Même lui trouvait que cette phrase sonnait faux et cliché, mais bon ça marchait à chaque fois, pourquoi pas avec elle ? Mais quand même, bizarrement il se trouvait ridicule face à elle.

« Ouais bon je sais, c'est nul hein ? Non, non tu pourrais le dire, même moi je trouve ça pas terrible. Mais c'est bizarre quand même... d'habitude ça marche bien, mais avec toi je sais pas. T'a pas la frimouse à que ça roule. C'est comme ça qu'on dit ? Je suis nul en français »

Et merde ! La boulette… Voilà que ce grand steak en profitait qu’elle l’aborde pour lui sortir son grand numéro de dragueur à deux ronds. Les bras croisés sur le comptoir du bar, Jenna leva les yeux au ciel pendant qu’il se présentait, avant de poser sur lui un regard profondément dédaigneux dont elle seule avait le secret. Qu’est-ce que ça pouvait lui faire à elle comment il s’appelait ? D’ailleurs, elle n’avait pas l’intention de lui répondre et de lui donner son nom. Pour qu’il prenne ça pour une invitation et la colle toute la soirée, non merci. Tout ce qu’elle voulait, c’était un semblant de paix avant la tempête qui s’annonçait au château. De ça, elle en était persuadée, elle avait des fourmis dans les doigts depuis plusieurs jours et ça, c’était jamais bon signe !

Le vent qu’elle lui servit en refusant de lui serrer la main ne sembla pas refroidir les ardeurs de son interlocuteur qui enchaîna bien vite en ponctuant ses phrases de charmeurs par de grands sourires qui se voulaient sans doute de séducteur. L’horreur ! Elle aurait mieux fait de garder sa boîte à camembert fermée plutôt que de lui demander s’il jouait dans une équipe de Quidditch. Agacée de l’entendre jouer du violon à côté d’elle, elle lui piqua son verre à défaut de s’être fait servir sa bière, et avala une grande gorgée avant de le reposer devant lui en grimaçant au moment même où il commençait à s’excuser.

« Pardon ? »

Non seulement, ce type causait bizarre, vu son nom rien de surprenant, mais en plus, il fallait qu’il se mette à l’insulter. C’était quoi son problème ? Elle avait quoi sa « frimousse » qui le dérange ! La bouche grande ouverte et les poings serrés sur le bar, Jenna s’apprêtait à s’insurger contre lui avant de se calmer d’un seul coup.

« Je sais pas quel genre de nanas tu trouves dans les bars d’habitude, mais je suis pas du genre à mouiller ma culotte pour un espèce de Viking qui parle chelou ! Je suis pas désespérée à ce point ! Sans vouloir t’offenser. »

Elle fut interrompue par le barman qui venait enfin lui apporter sa commande, prenant son temps pour lui verser sa boisson dans un verre à bière qu’il avait pris soin de déposer devant elle. Bon ok, elle était absolument de mauvaise foi vu ce qu’il s’était passé le soir du mariage d’Aaron, mais justement, elle s’était jurée de ne plus recommencer ce genre de connerie avant des lustres.

« Et c’est vrai que t’es plutôt une bille pour causer français, mais c’est marrant à entendre ! Tu viens d’où ? »

S’interrompant enfin pour lui laisser le temps de répondre, la jeune sorcière en profita pour goûter enfin son breuvage mousseux, vidant en quelques gorgées, la moitié de son verre.

Parfois Yngvar se demandait comment il faisait pour avoir autant de succès auprès des femmes... Il s'y prenait pourtant comme un pied. Ce devait être ça qui leur plaisait. Mais cette technique involontaire n'avait pas l'air de marcher avec la petite rousse a qui il s'adressait. Elle était complètement à côté de la plaque si elle pensait que le viking se moquait d'elle. Bien au contraire, le pauvre essayait de par aître sympathique.

Il marqua un temps d'arrêt quand elle lui dit qu'il n'était pas son genre, puis éclata de rire. Fort. Très fort.

« Ah tu vois que je te fais rire ! A mes dépends » lui répondit-il. J'arrive tout droit de Norvège ma p'tite dame ! »

Yngvar fit signe au barman de lui servir un autre verre étant donné que sa nouvelle copine venait de lui vider le sien.

« Je suis en france pour le travail... J'étudie quelques trucs ici, dans la forêt, tu vois ? Là je reviens de six mois de voyages. J'ai traversé l'Europe pour le travail aussi. J'avais pas très envie de revenir dans cette petite village... Mais bon ! »

Une fois lancé sur le sujet, difficile d'arrêter Yngvar. Mais il se rendit compte qu'il monopolisait la parole et se tût instantanément.

« Et sinon... petite dame rouge, tu fais quoi ici ? Tu travaille ? Tu t'appelles comment au fait ? Non parce que je parle trop, je le sais. Mais j'arrive pas à m'en empêcher ! C'est trop pénible je crois pour les autres.... J'ai hérité ça de ma mère, qu'est-ce qu'elle peut parler celle là ! Une vraie papillote ! »

Lorsque son voisin de comptoir éclata de rire suite à sa remarque, Jenna sursauta si fort qu’elle manqua tomber de son tabouret. Heureusement pour son ego, il ne sembla pas le remarquer et entreprit de commencer à lui raconter sa vie. Mais pourquoi ? Elle n’avait fait que lui demander d’où sortait cet accent bizarre qu’il avait pour lui causer ? Norvège ! Hum, ça expliquait la dégaine de Viking avec les cheveux longs, la barbe et la voix qui porte à faire trembler un glacier.

Se tassant un peu plus sur son siège, la tête enfoncée entre ses épaules, la jeune sorcière se pencha au-dessus de sa chope faisant mine de ne pas écouter un mot de ce que lui racontait son partenaire de soirée. Non mais quelle gamelle qu’il avait celui-là ! Pire qu’une gonzesse avec un verre de pétillant à la violette en trop dans le pif ! D’un autre côté, ça l’amusait réellement de l’entendre causer bizarre, surtout lorsqu’il écorchait à coup de truelle de chantier les expressions de chez elle.

« Pipelette ! Pas papillote… Bougre de troll ! »

Malgré la présence de l’insulte, la petite sorcière avait laissé son cynisme au placard. Un léger sourire aux lèvres, elle s’appliquait à ne pas croiser le regard de sa montagne de voisin pour ne pas éclater de rire et perdre toute dignité.

« C’est vrai que tu causes beaucoup ! J’espère que c’est pas des bestiaux que t’étudies dans la forêt parce qu’avec la gamelle que t’as, tu dois pas en trouver beaucoup ! » lui lança-t-elle avant de boire deux ou trois gorgées de sa bière. « Et mon nom à moi, c’est Jenna ! Je suis prof… À BeauxBâtons »

Le nez de nouveau dans sa chope, Jenna donna un léger coup de poing dans l’épaule de son voisin en guise de poignée de main. Les politesses de base et les chichis c’était pas tellement son truc !

« Mais dis-moi, c’est quoi ton problème avec Bois-Doré ? Ok, il fait pas aussi froid que chez toi et heureusement d’ailleurs, mais de là à râler pour y venir… »

Oui, bon… C’était pas ses affaires à Jenna mais c’est lui qui avait commencé aussi.