Elyon venait de déménager à Bois-Doré et se plaisait beaucoup dans le petit village. Les lieux n'étaient pas comme les endroits dans lesquels elle avait pu vivre avant et ce dépaysement l'enchantait littéralement : C'était à la fois familier, et pourtant différent. Loin de l'oppressante Brocéliande, loin de l'Ecosse et des problèmes, l'écrivain venait de déballer ses derniers cartons dans sa toute petite maison non loin de la mer quand elle eut envie d'une bonne tasse de thé brûlant, ce qu'elle se fît sans attendre.
Regardant par la fenêtre le bout de la jetée, elle fît une courte introspection sur elle même en réalisant ô combien sa vie avait basculé depuis deux ans, depuis qu'elle avait appris qu'elle était hybride. Cela avait un côté rassurant : elle connaissait quelque-chose de ses origines. Néanmoins, ne pas être considérée comme une personne l'humiliait profondément.
Elle aurait pu repartir, c'est vrai. Mais Elyon se sentait maintenant chez elle en France et avait le sentiment que ce pays lui manquerait si elle devait le quitter. On se sent chez soi quand on a envie d'y revenir dès qu'on ne s'y trouve plus !
Oh ... Attendez ... Il faut noter cela quelque-part.

Vite ! La petite femme chercha une plume et de l'encre pour noter ce qui venait de surgir dans son esprit, en trouva bien en évidence sur un guéridon et eu tout juste le temps d'écrire quand son coude buta la bouteille d'encre et que celle ci explosa sur le sol en tâchant le parquet. Agacée par sa propre maladresse, la sorcière soupira en nettoyant les dégâts d'un coup de baguette. Mais le problème maintenant c'était qu'elle n'avait plus de quoi écrire et c'était inconcevable pour elle, comme sortir sans vêtements.
Elle s'enroula dans un plaid de laine et décida d'aller au bazar du village pour trouver ce dont elle avait besoin. Quand elle sortit, les embruns lui cinglèrent le visage. Comme habiter près de la mer était agréable ! Cela ne valait pas la vue du Loch Ness qu'elle avait depuis sa chambre à Inverness mais c'était tout de même très plaisant. Avec un léger sourire flottant sur les lèvres, elle se rendit jusqu'au magasin et demanda ce dont elle avait besoin avec un fort accent écossais qu'elle ne cherchait jamais à dissimuler.

Elle décida de faire un tour dans la boutique pour voir s'il n'y aurait pas d'autre chose dont elle pourrait avoir besoin chez elle quand une autre cliente décida d'entrer. Peu rassurée à l'idée d'avoir à engager la conversation à quelqu'un, Elyon resserra son plaid autour de ses épaules et se fît discrète tandis qu'elle regardait une étagère remplie de ... d'articles pour pécher, chose qui ne l'intéressait absolument pas.

"Mademoiselle Sombrelune ? Votre bouteille d'encre de seiche ? Vous en voulez une petite ou une grande ?"

La dryade se retourna vers le commerçant et avec un tout petit sourire répondit.

"Une grande, merci Phinéas."

Elle rejoint la caisse pour payer et contourna soigneusement la femme qui se trouvait sur son chemin en s'excusant discrètement.

Comme d'habitude, le stock de parchemins et de plumes d'Irmine avait duré un temps beaucoup trop court à son goût. Son budget "fournitures" avait dû être revu à la hausse depuis qu'elle travaillait à Beauxbâtons, et qu'elle avait enfin du temps pour se consacrer à ses recherches. Évidemment, travailler en tant que bibliothécaire laissait plus de temps pour étudier que de récurer des chaudrons. La jeune femme dut donc se rendre à l'évidence qu'il était temps de refaire une virée par le Bazar de Bois-Doré.

Arrivée à l'échoppe, elle détacha sa cape et salua d'un signe de tête le propriétaire du magasin. Ce dernier l'accueillit avec un grand sourire, comme à son habitude, probablement ravi de voir l'une de ses clientes les plus assidues. La jeune femme aurait eu meilleur temps de faire des commandes en gros à Brocéliande, mais elle trouvait bien plus favorable de participer à faire tourner un petit commerce de proximité qu'un grand fournisseur déjà assez riche.

- Bonjour Mlle Boisseuil. Comme d'habitude ?

- Oui, comme d'habitude. Merci Mr Peyrot., répondit Irmine.

Puis, elle profita qu'il s'occupe d'une autre client déjà présente et de sa propre commande pour regarder distraitement les différentes bougies magiques exposées en vitrine. La voix du boutiquier et particulièrement le nom qu'il prononça en s'adressant à l'autre client attira son attention : Sombrelune ? Ce n'était pas courant comme nom, et Irmine se demandait s'il pouvait s'agir de la Sombrelune ayant le plus de notoriété en France Magique.
Aussi, quand Mr Peyrot revint vers elle pour lui proposer un nouveau type de plumes qu'il venait de commander, elle lui chuchota assez bas pour que l'autre cliente ne l'entende pas :

- Dites-moi, Sombrelune...c'est Elyon Sombrelune, l'auteur ?

Le boutiquier opina du chef, avec un sourire.

- Oui, elle vient d'emménager à Bois-Doré. Quelle chance nous avons ! Vous avez lu son dernier roman ?

Irmine fit un signe négatif de la tête. Elle connaissait l'écrivaine pour sa réputation, mais plutôt pour ses ouvrages de traduction de textes runiques.

- Ah oui, c'est vrai qu'elle a aussi écrit des traductions. Attendez, je vais vous la présenter !

- Oh non ! Ce n'est pas néc...

Mais Irmine n'avait pas eu le temps de protester que le vendeur l'entraînait par le bras en direction du comptoir où attendait Mlle Sombrelune et l'apostrophait pour attirer son attention. La demi-naïade n'avait rien contre Phinéas Peyrot, mais parfois elle le trouvait trop prompt à présenter des clients qui n'avaient probablement rien à se dire.

- Mlle Sombrelune, laissez-moi vous présenter Irmine Boisseuil, la bibliothécaire de Beauxbâtons. Elle vient de m'apprendre qu'elle a lu certains de vos livres ! C'est merveilleux, n'est-ce pas ? Oh, et votre bouteille d'encre.

Irmine fit un signe de tête gêné à Mlle Sombrelune, très mal-à-l'aise d'avoir été exposée ainsi sans qu'elle n'ait rien demandé. Prochaine fois, elle tiendrait sa langue !

- Enchantée.

- Mlle Boisseuil, je vous fais livrer tout cela à l'Académie ce soir. Mlle Sombrelune, avez-vous déjà visité Beauxbâtons ?

Irmine garde un visage neutre, mais intérieurement elle priait pour que Phinéas ne soit pas sur le point de lui proposer de servir de guide à l'écrivaine.

Au moment de payer, l'attention d'Elyon fût attirée par un lot de plume d'oie.

"Excuse-moi Phinéas, je vais chercher autre chose, je paye tout de suite ..."

Elle s'excusa aussi à nouveau auprès de la femme à côté de laquelle elle passait et alla chercher ses plumes. La boutique n'était pas très grande alors elle ne perdit pas une seule miette de la conversation entre le boutiquier et Mademoiselle Boisseuil. Elle baissa la tête, si elle avait pu elle aurait disparu sous le parquet mais sa fuite aurait certainement été remarquée. Normalement, il ne tarderait pas à l'interpeller pour la présenter, et elle n'avait aucune envie de parler. Mais elle le ferait parce que son père à défaut de lui apprendre l'honnêteté lui avait enseigné la politesse. Elle afficha un sourire sans chaleur et alla saluer celle qui, apparemment, avait eu l'occasion d'avoir ses traductions sous les yeux à défaut de sa prose.


"Enchantée Irmine !"
Dit-elle en tendant une main. Seule le rouge qu'elle avait sur les joue trahissait sa gêne. Bibliothécaire, un métier de rêve ! Vivre parmi les livres, Elyon ne pouvait pas rêver de meilleure vie que celle que menait la personne qui se trouvait devant elle.

Alors que Phinéas qu'elle avait très vite tutoyé et appelé par son prénom lui demandait si elle avait déjà visité l'académie, Elyon répondit par la négative.


"Non, je n'ai pas eu cet honneur, mais si Beauxbâtons est pour toi ce que Poudlard est pour moi, y passer tes journées doit être un enchantement de tous les instants !"
dit-elle à l'attention d'Irmine.

Elle remarqua aussi que la femme était aussi gênée qu'elle alors elle jugea qu'elle pouvait prendre congé sans problèmes, elle les salua tous les deux, paya (après avoir insisté pour payer) et passa le seuil de la porte.
Mais sa curiosité était piquée au vif alors qu'à l'horizon se dessinait la majestueuse école de magie française. Elyon la contempla longuement avec un sourire triste, si bien que lorsque la bibliothécaire sortit, elle se trouvait toujours là.
La traductrice lui fît un sourire poli.


"Pardon, je ne voulais pas te mettre mal à l'aise."


En réalité, elle l'était autant voir plus qu'elle.

"Comment est Beauxbâtons ? On raconte que c'est majestueux ..."

Mr Peyrot avait fait fort cette fois-ci, en gênant deux femmes qui aimaient aussi peu l'une que l'autre de se retrouver dans une telle situation. Le ton de Mlle Sombrelune était calme, mais le rose lui était monté aux joues, trahissant l'embarras que partageait Irmine. Elle tendit sa main, que la bibliothécaire serra brièvement par politesse. En revanche, Irmine ne put s'empêcher de trouver légèrement cavalier de se faire appeler par son prénom alors qu'elles ne se connaissaient pas.

- Non, je n'ai pas eu cet honneur, mais si Beauxbâtons est pour toi ce que Poudlard est pour moi, y passer tes journées doit être un enchantement de tous les instants !

Irmine crût un instant qu'elle s'adressait à Phinéas, étant donné le tutoyement, mais elle remarqua vite que Mlle Sombrelune regardait dans sa direction. Pour Irmine, qui faisait passer bien des messages dans sa manière de s'adresser aux gens, ce genre de prompte familiarité était très dérangeante. Elle prit sur elle pour n'en rien faire paraître, mais cela ne lui plaisait pas de se faire tutoyer par une inconnue.
Toutefois, un argument joua en la faveur de son interlocutrice : sa langue maternelle était l'anglais - Irmine ne l'aurait pas déjà su, elle l'aurait remarqué à son accent écossais très marqué - et dans celle-ci il n'y avait qu'un pronom pour la 2ème personne du singulier, politesse ou non. La jeune femme pouvait donc mettre cette liberté sur le compte d'une différence culturelle.

- Certains élèves ont tendance à briser "l'enchantement", mais dans l'ensemble je n'ai pas à me plaindre., répondit simplement Irmine.

Le vendeur pouffa à la mention des élèves, tandis qu'il encaissait les achats de sa cliente. Mlle Sombrelune en profita pour s'éclipser en leur disant au revoir. Une fois sortie, Irmine releva les yeux vers Phinéas qui affichait un grand sourire.

- Vraiment, une habitante célèbre dans le village, quel honneur pour Bois-Doré. Quel dommage que son dernier livre n'ait pas été publié, tout ça pour une hybridation au huitième-de-sang.

La naïade écoutait d'une seule oreille les palabres de Mr Peyrot, qui s'extasia encore cinq minutes. Puis, avec un léger sourire, elle put enfin payer et prendre la direction de la sortie, sans avoir à s'encombrer de paquets.
Seulement, une fois passée la porte, le chemin était barré par Mlle Sombrelune, qui s'était apparemment perdue dans la contemplation du palais de Beauxbâtons. La jeune bibliothécaire s'éclaircit la gorge pour faire remarquer sa présence.

- Hum...excusez-moi, puis-je passer ?

L'écrivaine se décala légèrement, et lui sourit poliment, tout en s'excusant de l'épisode gênant qu'elle venait de vivre.

- Ce n'est rien. Mr Peyrot peut être parfois un peu intrusif., répondit Irmine avec un regard entendu.

Irmine plaignait un peu son interlocutrice, être le centre de l'attention ne semblait pas plus lui plaire que cela n'aurait plût à la naïade.
Alors que la jeune femme s'apprêtait à prendre congé, elle fut retenue par la question rêveuse de Mlle Sombrelune.

- Comment est Beauxbâtons ? On raconte que c'est majestueux ...

Irmine regarda un instant la silhouette qui se détachait du paysage. Oui, majestueux était le mot.

- C'est...beau. Très beau. C'est un palais de la Renaissance, d'un blanc éclatant. Quant au domaine, il s'étend sur l'entier de la presqu'île. Vous verrez, à marée haute la route entre Beauxbâtons et Bois-Doré est inondée, ce qui donne l'impression que nous sommes vraiment coupés du reste du monde.

Irmine n'était pas aussi douée que Goulven pour décrire avec poésie une architecture ou un lieu, mais elle essayait malgré tout de rendre justice à l'imposante Académie.

- J'imagine que Poudlard doit être assez différente ?

A l'évocation de Poudlard, le regard de la Dryade se teinta de nostalgie. Effectivement le Château n'était pas réputé pour être aussi clinquant et raffiné et que son homologue français. Non ... c'était un tout autre genre.

"Non, effectivement. Poudlard est une beauté brute ... Mais je ne saurais pas te dire de quel style d'architecture parce que plus de mille ans d'histoire se chevauchent sur ses pierres. Il faudrait être un spécialiste pour ça ..." Dit-elle avec un doux rire.

Elle reporta sur la jeune fille son regard bleu et la considéra un moment. Elle avait un peu l'impression de voir son reflet dans le miroir c'est vrai, c'était sans doute pour ça que la communication avec cette inconnue lui paraissait relativement facile.

"D'ailleurs le domaine est très vaste aussi. Il s'y trouve une forêt dans laquelle vivent des Centaures, c'est un territoire qu'ils ont revendiqué. L'un d'eux était même Professeur de Divination ! Se souvint-elle, bien qu'elle n'avait pas pris Divination en option, mais l'Arithmancie et l'Etude des Runes.

"C'est entouré par des montagnes ... si bien que même sans être sur une île on s'y sent un peu coupé du monde aussi. Et la Bibliothèque est absolument merveilleuse, j'espère que tu auras l'occasion de t'y rendre un jour ... Je ne sais pas, pour rencontrer une consoeur, faire des recherches ... Oh, excuse-moi je vais te paraître un peu ... enfin, je ne sais pas tellement qualifier cela, mais tu as le métier que je rêverais de faire !"

Il n'y avait cependant aucune pointe de jalousie dans la voix d'Elyon qui pourtant aurait donné beaucoup pour être à la place d'Irmine, bibliothécaire dans son école.

"Et puis à ce qu'on dit ... C'est le seul endroit encore dans ce pays où les gens comme moi ne sont pas considéré comme de la racaille ..."

Elyon était simple dans sa manière de pensée. Si son hybridation la dérangeait, la jeune femme pourrait passer son chemin, elle n'était pas du genre à imposer sa présence ou à rechercher à créer des liens absolument. Au contraire ! Quand la personne en face de vous voit tout de suite comme vous êtes, vous gagnez un temps bien précieux. Voilà la raison pour laquelle Elyon n'utilisait jamais le pompeux vouvoiement français, qui mettait de la distance entre les gens. Voilà aussi pourquoi elle ne les appelait que par leur prénom. On appelait d'ailleurs une chaise "une chaise", pas "un meuble". Cela lui donnait une attitude apparemment décontractée mais il n'en était rien en réalité car de cette manière elle écartait quiconque pouvait lui être hostile.

"Comme Pouldard a une époque protégeait les "Nés-Moldus" et les "Sang-Mêlés." en fait, ces deux écoles se ressemblent vraiment beaucoup quand on y pense, tu ne trouves pas ?"

Lorsqu'Elyon remarqua qu'elle n'était pas plus spécialiste d'architecture qu'Irmine et qui leur faudrait une personne avec plus de connaissances dans le domaine, la jeune femme ne put s'empêcher de penser à Goulven. Lui savait sûrement mieux qu'elles quels étaient les noms des styles des deux écoles. Seulement il n'était pas là pour qu'on le lui demande, alors elle le chassa vite de son esprit...elle pensait à lui assez souvent comme ça !

Irmine fut surprise d'apprendre qu'une créature magique avait pu devenir professeur. Décidément, le Royaume-Unis n'avait rien à envier à la France en matière d'ouverture d'esprit. Bon, c'était de la Divination, matière que la bibliothécaire dédaignait grandement, mais malgré tout cela restait un enseignement dans l'une des grandes écoles de magie !

- Un centaure professeur ! Ce n'est pas ici que vous verrez ça, il y a bien des hybrides qui y parviennent, mais avec difficultés., commenta-t-elle d'un ton neutre, sans donner son avis sur la question.

Irmine n'aimait pas s'avancer sur le sujet des hybrides et de la discrimination ambiante en France Magique, elle en souffrait trop au quotidien et savait qu'un mot de trop pouvait lui coûter cher si elle parlait à un partisan de la politique du Grand Conseil.

- Et la Bibliothèque est absolument merveilleuse, j'espère que tu auras l'occasion de t'y rendre un jour... Je ne sais pas, pour rencontrer une consoeur, faire des recherches... Oh, excuse-moi je vais te paraître un peu ... enfin, je ne sais pas tellement qualifier cela, mais tu as le métier que je rêverais de faire !

Une esquisse de sourire se dessina sur les lèvres d'Irmine. Aucune jalousie ne transpirait du ton de son interlocutrice, au contraire elle semblait presque le présenter comme un compliment. La naïade hocha la tête simplement.

- Oui, j'ai beaucoup de chance d'avoir obtenu ce poste, la bibliothèque est vraiment un endroit incroyable. Parfois je trouve que beaucoup d'élèves ne se rendent pas compte de la chance qu'ils ont de pouvoir accéder à autant de savoir concentré dans un seul lieu !

Irmine aimait sa bibliothèque, c'était l'endroit où elle se sentait vraiment chez elle, parmi les ouvrages centenaires. Malgré tout, une pointe de rancoeur l'habitait toujours. Peut-être était-ce le métier de rêve de Mlle Sombrelune, mais Irmine, elle, avait eu une autre vocation en tête. Etudier la Magie à travers les livres était très enrichissant, mais ce n'était pas suffisant pour elle ! Aller expérimenter et découvrir les anciennes magies sur le terrain là où il en restait encore des traces, comme lorsqu'elle les étudiait en Norvège, lui manquait. Et puis les recherches qu'elle faisait à côté de son travail n'était que pour sa connaissance personnelle, et savoir que cela ne servait à rien de tenter de les partager, du fait qu'on ne prendrait pas le risque de la publier en raison de son hybridation, la frustrait. Parfois, Irmine avait l'impression d'avoir une place de choix pour observer le monde, mais d'être coincée dans une prison de verre, l'empêchant d'y apporter sa contribution.

C'est alors qu'Elyon embraya sur le sujet au coeur de leurs problèmes : leur hybridation. Irmine savait que la jeune femme possédait un huitième de sang de dryade, cela avait fait la une des journaux et avait mis un sacré frein à sa popularité grandissante en tant qu'auteur. Comme l'avait dit le propriétaire du bazar dont elles sortaient, son dernier ouvrage avait été refusé par les maisons d'éditions sorcières à cause de cela.
Irmine éprouvait une certaine compassion, même si elle estimait que les traductions de Sombrelune n'étaient parfois pas les meilleures, en revanche elle se dit qu'elle se faisait une image peut-être trop idéalisée de Beauxbâtons.

- A votre place, je ferais attention malgré tout à ne pas trop vite croire tous les habitants de l'île animés de bonnes intentions à votre égard. Il est vrai que nous sommes assez éloignés de Brocéliande pour être relativement épargnés par la politique, mais j'ai peur que cela ne dure pas.

Irmine évitait de se placer en tant qu'avocate de la cause hybride, mais elle n'allait pas non plus jusqu'à faire croire qu'elle n'avait rien contre le Grand Conseil. Son amertume à l'égard du gouvernement était beaucoup trop grande pour pousser la dissimulation jusque-là. Son visage ne portait pas de trace de colère, mais on pouvait y lire son désaccord avec ce qu'il se passait actuellement chez les sorciers français.
Elle jeta un regard au palais avant de le reporter sur Elyon, qui malgré une apparente timidité ne semblait pas avoir la langue dans sa poche. La naïade commençait à se demander si elles n'avait pas plus de points communs que l'amour des livres.

- Beaucoup de choses risquent de changer à Beauxbâtons, suivant qui sera nommé à la direction. Cela ne saurait tarder d'ailleurs, le Conseil Académique doit délibérer prochainement.
Elle fit une moue sceptique avant d'ajouter : Seul l'avenir nous dira si le successeur d'Olympe Maxime continuera son oeuvre ou non.

Elyon continuait à afficher un sourire tranquille tandis qu'elle écoutait les recommandations de la bibliothécaire. Elle eut même un petit ricanement et tourna la tête pour regarder l'horizon.

"Oh ! Je ne crois personne potentiellement armé de bonnes intentions. On a jamais autant parlé de moi que depuis cette histoire ce qui me conforte dans cette théorie. Mais si certains se battent pour nous alors je pense qu'il est bon d'y accorder un peu d'importance. Sinon ça porte un nom : l'ingratitude !"

Elle reporta sur la naïade son regard bleu. Elle, que pensait-elle ? Elle ne lui sembait pas hostile mais Elyon plus que quiconque savait qu'il fallait se méfier de l'eau qui dort. En tous cas la teinte qu'avait pris sa voix lui avait laissé entendre qu'elle n'était pas tellement favorable à la ligne du gouvernement mais qu'il y avait beaucoup de choses qu'elle ne disait pas. Comment le savait-elle ? Elle avait exactement la même manière de procéder : dire aux gens des choses qu'ils saavaient déjà où qu'ils avaient envie d'entendre pour les tromper et ne pas avoir à répondre à d'autres questions ou faire d'autres remarques. Cette attitude fît sourire l'écrivain.


"On ne sait pas de quoi demain sera fait n'est-ce pas ? Raison de plus pour en faire encore plus aujourd'hui alors." dit-elle d'un ton tranquille.

La dryade se rapprocha de son homologue des eaux. Elle sentait comme une affinité avec elle, même si Irmine était comme elle une solitaire, c'était là le sang des Nymphes qui parlait. Même si elles ne recherchaient pas vraiment la compagnie de l'autre elles pouvaient se comprendre. L'hybridation était bien plus imprimée en elle qu'elle ne le croyait et avant tendance à minimiser ce pouvoir. L'idée qu'elle pu être une hybride aussi lui traversa l'esprit, sinon elle ne parlerait pas avec autant d'amertume dans la voix.


"Mais les hommes ont besoin d'excuses pour se détester les uns les autres, c'est comme ça, et ça leur paraît plus honorable de le faire pour une bonne raison que d'admettre qu'ils ont peur, tout simplement ? En fait, si on réfléchi comme ça, celui qui admet qu'il a peur est le plus tolérant."

Elle nota mentalement cette réflexion et réalisa qu'elle devait paraître un peu ailleurs.


"Pardon, je réfléchissais tout haut ... ça m'arrive souvent ! Je vais sans doute te paraître audacieuse, mais je te propose un marché. Tu me montres ton univers, et je te laisse voir le mien."

La facilité de discussion avec Irmine la déconcertait et l'envie de voir la bibliothèque de l'académie était très forte. Mais évidemment, tout le monde ne pouvait pas rentrer comme ça dans une école, Elyon avait une parade.


"Je peux déposer une candidature comme Professeur d'Etude des Runes pour justifier ma présence dans vos murs."

Elle savait très bien que celle-ci ne serait pas lue tant que le nouveau directeur ne serait pas nommé et accessoirement il y avait déjà un Professeur mais ça, c'était un détail.

L'auteur qui se tenait face à Irmine avait des opinions nettes et pas la langue dans sa poche. Irmine se demandait si elle devait prendre pour elle la remarque acerbe sur l'ingratitude. Pour sa part, elle ne le voyait pas de cette manière : elle n'avait rien demandé à personne, tout ce qu'elle voulait, c'était qu'on la laisse tranquille ! Elle ne se considérait malgré tout pas comme une ingrate, car elle ne descendait pas les rebelles...bien qu'elle ne cautionnait absolument pas les actes terroristes de certains ! Cependant, ce n'était pas demain la veille qu'on allait la voir se rallier à un tel groupe, discrimination ou non.

- En effet, les journaux vous ont fait une sacrée réputation. Mais la France comme pays d'accueil n'était peut-être pas un choix judicieux. En Grande-Bretagne, on vous laisserait relativement tranquille, maintenant que la guerre est finie.

Irmine vit son interlocutrice se rapprocher légèrement d'elle, mais elle ne se décala pas. D'une part parce qu'elles gardaient malgré tout une distance personnelle tout à fait acceptable, et d'autre part parce qu'elle aussi sentait l'affinité imperceptible qui s'exprimait dans leur conversation. Irmine n'avait pas à chercher bien loin l'origine de cette intérêt mutuel, étant donné qu'elles possédaient toutes deux des origines de nymphe. Irmine ne ressentait pas spécialement de connexions avec les hybrides en général, mais avec les nymphes et les satyres, il y avait comme quelque chose qui la remuait de l'intérieur.

La jeune femme écouta attentivement Elyon exprimer ses réflexions, bien que parfois cette dernière semblait plutôt se parler à elle-même. Plongeant les mains dans les poches de sa cape, Irmine en profita pour observer un peu mieux la femme qui se tenait en face d'elle. Irmine l'a dépassait d'au moins une bonne dizaine de centimètres, et elle avait l'allure frêle, comme si le vent pouvait l'emporter à tout moment. Un plaid à carreaux recouvrait des épaules menues et des petites mèches de cheveux bouclés voletaient autour de son visage, lui donnant un air sauvage. Irmine avait l'impression que cette femme n'était pas si aisée à cerner qu'il n'y paraissait. Peut-être cachait-elle des choses, elle aussi.

- Peut-être, en effet. commença-t-elle après les remarques d'Elyon sur la peur humaine, Je crois surtout que le cerveau humain est paresseux. La discrimination est basée sur des idées préconçues, sur des stéréotypes...ceux-ci sont, au final, une simplification du monde qui nous entoure. Y recourir, c'est éviter à son esprit de dépenser de l'énergie à tenter de comprendre la complexité du monde et des gens.

Irmine ne trouvait pas que cette explication était une excuse justifiant un tel comportement, mais son esprit à elle cherchait toujours une raison à toute chose.

C'est alors que Mlle Sombrelune lui fit une proposition des plus étranges, motivée apparemment par un fort désir de voir l'Académie...et probablement sa bibliothèque en particulier.
La naïade ne put retenir un petit rire à l'idée que la traductrice pourrait poser sa candidature en tant que professeur de runes.

- Pardonnez-moi, mais je ne suis pas certaine que cela sera très convaincant., laissa-t-elle échapper avec un sourire amusé.

Décidément, Irmine avait le chic pour tomber sur des personnes particulièrement audacieuses depuis quelques temps !
La bibliothécaire n'avait rien contre l'idée en soi de lui faire découvrir son antre, elle trouvait même que ce savoir pourrait profiter à bien plus de gens que juste les élèves de Beauxbâtons. Mais l'Académie gardait jalousement son savoir pour elle, comme si le partager aurait diminué son prestige. Il lui était donc interdit d'y faire venir une sorcière de l'extérieure sans l'aval de la direction...et encore moins sans une raison valable. Elle avait déjà pris un risque avec Goulven lors du nouvel-an... qu'elle avait d'ailleurs chèrement payé !

Malgré tout, elle devait avouer que la dryade avait piqué sa curiosité. Quel pouvait bien être ce monde dans lequel elle évoluait et qui nourrissait peut-être cette imagination narrative. Et puis Elyon ne semblait pas vouloir faire intrusion dans son monde, ce qui aurait immédiatement déplu à l'hybdride, mais plutôt découvrir cette école sur laquelle elle avait probablement entendu beaucoup d'histoires.

- Il me semble que vous possédez une longueur d'avance sur moi, car vous avez une idée de l'univers que je pourrais vous montrer...en revanche, de mon côté, je ne sais rien du vôtre ni de ce que vous avez à offrir en contre-partie. remarqua la nymphe, sans dire pour l'instant si elle acceptait la proposition ou non.

- En effet, les journaux vous ont fait une sacrée réputation. Mais la France comme pays d'accueil n'était peut-être pas un choix judicieux. En Grande-Bretagne, on vous laisserait relativement tranquille, maintenant que la guerre est finie.

Elyon eut un doux sourire mais ne répondit pas à cette remarque. Parfois sa terre lui manquait mais personne ne l'y attendait. Depuis toujours elle cherchait désespérément un endroit où elle se sentirait attachée, elle n'avait simplement pas compris que cet endroit ne dépendrait que d'une seule personne, mais c'était quelque-chose qu'elle refusait d'accepter.
Elle n'avait pas choisi sa destination en fonction de la situation politique, qui pouvait toujours évoluer de toutes manières : la Grande Bretagne en était un parfait exemple.
La Dryade passa donc sous silence cette partie de sa vie et écouta Irmine sans pouvoir s'empêcher de réprimer un sourire. Quel ravissement d'être confronté à un tel esprit ! Irmine n'hésitait pas à lui dire lorsqu'elle n'était pas d'accord avec elle et cela lui plaisait beaucoup.

"Tu as totalement raison sur ce point."

Irmine doutait que cela soit convainquant, Elyon n'en perdit pas son sourire pour autant.

"Et bien je dirais que je suis venue faire de simples recherches, tu penses que cela peut suffire ?"

Parce que non, elle n'avait pas l'intention de renoncer, avec ou sans Irmine elle voulait voir la bibliothèque de l'Académie, mais elle serait gênée de le faire sans l'accord de sa gardienne.

"Tu connais le thé le plus populaire en Angleterre. Tu sais que sa recette a été élaboré en Ecossse en réalité ? Je t'invite à en partager une tasse chez moi après ça, si tu veux."

Elle n'invitait jamais personne chez elle mais elle sentait que la nymphe serait quelqu'un de respectueux de son univers et de son intimité.

Elyon semblait être une personne têtue, et était bien décidée à venir visiter Beauxbâtons apparemment. Cela ne gênait pas le moins du monde Irmine, qui au contraire appréciait quand elle faisait face à quelqu'un d'aussi passionné pour les livres.
La dryade lui proposa une autre excuse bien plus convaincante car toute simple. Irmine hocha la tête avec un sourire.

- Oui, je pense que la direction ne verra rien à y redire.

Mlle Sombrelune étant une auteur connue, elle verrait sûrement les portes de l'académie s'ouvrir pour elle sans trop de difficultés.
Puis, la jeune femme proposa de l'inviter chez elle à boire le thé une fois que cette visite guidée serait faite. Irmine était surprise qu'Elyon lui ouvre la porte de son logis aussi vite, car elle semblait partager la réserve de la bibliothécaire, et donc cela lui semblait une contre-partie tout à fait correcte.

- Je ne le savais pas. répondit-elle, C'est entendu alors. Adressez une "demande de consultation bibliographique" à la direction, en précisant que cela est d'ordre professionnelle, vous devriez obtenir une réponse assez rapidement.

L'heure avançant, Irmine réalisa qu'il était temps qu'elle rentre à Beauxbâtons car elle avait encore du travail devant elle. Elle décida donc de prendre congé poliment.

- Excusez-moi, mais il est l'heure pour moi d'y aller. Enchantée d'avoir fait votre connaissance.

Et avec un léger sourire, elle fit un signe de tête et reprit sa route en direction du palais.