Le travail ne manquait pas pour Goulven qui venait de prendre ses nouvelles fonctions d’avocat. Il pouvait enfin mettre en pratique ces nombreuses années d’étude et d’attente passées au Grand Conseil en tant que simple juriste. Qu’on l’appelle Maître ne le rendait pas peu fier et il aurait pu être ravi d’avoir l’occasion de mettre toute sa verve et sa rhétorique au service de la défense des prévenus si seulement ceux-ci avaient été innocents. Oh, ils l’étaient, c’est sûr, au regard de la loi, mais la plupart du temps la loi était injuste mais il devait s’en accommoder. Il se savait attendu au tournant pour le moment et n’osait pas encore afficher clairement ses positions, comme toujours, attendait que son heure vienne. Mais attendre … attendre … pendant combien de temps encore devrait-il serrer les dents ?
Quand enfin il fût commis d’office à la défense d’un hybride, un quart de géant accusé de destruction de biens publics alors qu’il avait simplement oublié de se baisser en passant une porte, faisant s’effondrer une maison déjà fragile au pleins cœur de Brocéliande. Evidemment, les témoignages recueillis ne jouaient pas en sa faveur. Cette affaire était minime parce que le géant risquait surtout une amende assortie d’une peine de prison avec sursis, mais Goulven avait mis beaucoup d’ardeur à le défendre et il avait finalement gagné. Son client s’en était juste sorti avec des Travaux d’Intérêt Généraux dans une carrière de granit proche de Carnac pour aller extraire l’ambre des fées.

L’affaire en elle-même n’avait pas été passionnante mais c’était la première fois que Goulven pouvait défendre quelqu’un qui était réellement innocent et il était fier d’avoir gagné bien qu’en soi cela ne soit pas réellement prestigieux.
En parlant d’hybride, il y en avait une dont il n’avait pas eu de nouvelles depuis un certain temps. Il avait cru qu’il la verrait à l’occasion de la marche aux flambeaux de Bois-Doré pour la nouvelle année mais il n’y était finalement pas resté puisqu’il s’en était échappé pour passer la soirée avec Irmine. Il savait que le samedi souvent les élèves étaient autorisés à se rendre au village et ce serait là une occasion de voir si d’aventure elle sortait du palais, ou au pire pour lui de faire une bonne promenade.

Il connaissait bien Ala et savait qu’elle cherchait souvent la solitude or Bois-Doré n’était pas grand et il n’eut qu’à parcourir quelques rues pour retrouver la chevelure rousse flamboyante de sa petite sœur d’adoption. Il l’interpella un sourire aux lèvres.

« Hey ! Ala ! »

La petite harpie daigna lever un œil vers lui et il lui envoya son habituel sourire tranquille.

« Si, mais je relâche pour aujourd’hui, je voulais savoir comment tu allais. »

Il ne lui reprocherait jamais de ne pas avoir de ses nouvelles, ne pouvant pas lui-même lui écrire régulièrement à cause d’une fichue allergie aux plumes de hiboux …

Il ne lui demanda pas la permission avant d’aller s’assoir à côté d’elle. De toute façon, à moins qu’elle ne lui demande explicitement de partir, il resterait et doutait d’ailleurs qu’elle ne veuille pas de sa présence en dépit du fait que la petite Harpie était plutôt du genre solitaire. Un trait de caractère commun à son ami Jared d’ailleurs.
Ala-Jelly lui fît remarquer qu’il aurait pu lui envoyer un hibou s’il voulait de ses nouvelles et il rit sincèrement à cette remarque.

« Impossible, j’ai envoyé trop de courriers récemment, je viens tout juste de m’en remettre. Je pense que si j’approche encore une seule fois une de ces bestioles, je fais un choc anaphylactique. »

Goulven était allergique à tous les animaux qui avaient des plumes ou des poils ce qui lui posait un certain nombre de problèmes au quotidien. Envoyer du courrier était un acte de la vie courante qu’il devait faire avec parcimonie et il avait un peu tiré sur la corde en envoyant presque une lettre par jour à Irmine pendant une semaine …

Elle lui demandait des nouvelles sur ses clients, ses amours …

Sur ses clients, Goulven lui répondit :

« Rien de bien passionnant. Les affaires qu’on donne aux commis d’office ne sont pas des plus prestigieuses, mais pour le moment je n’ai pas perdu un procès. Enfin, pas vraiment … «

Sur ses amours, il éluda la question sans aucune finesse.

« Quoi, Ala, tu as peur que je te remplace ? »

Il ébouriffa ses cheveux en riant. Il n’était pas vraiment du genre à se confier sur la question, encore moins à une jeune fille de 15 ans même s’il aimait celle-ci comme une petite sœur. Le soir du Nouvel An, il avait été surpris avec Irmine dans la bibliothèque de l’Académie par deux élèves, et pas des plus discrets : Lysandre Sainclair et Alix Vannier. Que la rumeur se propage dans l’école n’aurait donc rien d’étonnant.

« Tu sais, Irmine est juste une amie. » lui dit-il sans parvenir à voiler une pointe d’amertume dans sa voix. Sans doutes parce qu’au fond de lui, il savait qu’il vaudrait mieux qu’il abandonne avec elle, problème, il en était incapable.

« Mais toi ? Je ne vais pas te laisser t’en tirer comme ça hein ! »

Alors qu’elle avait posé sa tête sur son épaule, il passa bras de grand frère protecteur autour d’elle.