Durant l’une de ses nombreuses retenues du mois, Lysandre avait un travail particulièrement fastidieux à faire : nettoyer les lentilles des instruments avec un chiffon avant de les remonter dans l’ordre, ce qui était particulièrement long et pénible. Mais celle-la, il ne l’avait pas volée puisqu’il avait baissé le pantalon de Jules-Magnus devant tout le monde pour que l’assistance profite d’un magnifique sous-vêtement avec des petits palmiers et un décor tropical. Une heure de colle de plus ou de moins de toutes façons ça ne changeait pas grand-chose … Il lui arrivait même d’arriver à sa retenue sans en connaître le motif, il y en avait tellement.

Posé sur l’une des tables de travail avec pour seule lumière celle du jour, il nettoyait scrupuleusement un télescope parce qu’il avait quand même l’amour du travail bien fait, quand des pas se firent entendre dans l’escalier. Quand il reconnut la personne qui arrivait, Lysandre ne put s’empêcher de rougir et de se sentir profondément idiot. Comme toujours, il masquait sa gêne en faisant le pitre et se mit à chanter :

« Biche, ô ma biche ! Lorsque tu soulignes au crayon noir tes jolis yeux ! »

Tout en dansant une des lentilles failli lui échapper. Qu’il en pince pour Jeanne n’était un secret pour personne, du moins pour le peu qui avaient compris qu’il ne sortait pas avec Alix mais Jeanne le snobait complètement. Cela le rendait malheureux mais plutôt que de lui montrer il préférait encore faire croire que ça ne lui faisait rien du tout.

« C’est la Saint Valentin ma chérie, mais j’ai oublié ton cadeau. Tu m’en veux pas hein … »

Pourtant très investi dans le club théâtre, Lysandre n’y avait pas fichu les pieds depuis un certain temps à cause de toutes les retenues dont il avait écopé. Il était obligé de se cantonner aux répétitions obligatoires, ce qui le frustrait d’ailleurs beaucoup car le théâtre c’était toute sa vie. S’il se sentait fait pour une chose, c’était bien celle-ci.

En jouant au gros lourd, il masquait sa gêne devant la Cerva. Il ne trouvait pas d’autres moyens de lui dire combien elle lui plaisait. Oui, c’est débile, mais c’est Lysandre quoi. Il rangea ses lentilles dans l’ordre pour remonter l’instrument qu’il venait de nettoyer sans en perdre une seule et s’enquit de ce que la jeune fille voulait car il se doutait bien que ce n’était pas parce qu’elle avait envie de discuter. Déjà, il était en retenue, alors elle devait certainement ne pas avoir le choix. Elle lui dit alors que c’était pour les costumes. Jeanne était souvent celle qui s’occupait de coudre les costumes du théâtre en plus d’avoir des premiers rôles féminin. En même temps, elle était tellement douée pour la comédie et la musique …
L’enjeu, cette année était de taille : le premier rôle masculin devrait embrasser le premier rôle féminin, et Lysandre était sur la liste des pressentis (avec Merlin, comme d’habitude). Il lui avait raflé la place la dernière fois alors il n’y avait aucune raison pour que ce ne soit pas le cas cette année, la dernière représentation de fin d’année avait été un triomphe et toutes les filles de l’école amoureuses de lui pendant … 5 minutes (parce que sitôt descendu de scène il redevint aussi intéressant que le plus commun des mortels).

« Ah ouaaiiiiis ! J’parie que t’as eu le premier rôle toi ! Et moi du coup, tu dois me faire quel costume ? »

Il s’approcha d’elle et tendit ses grands bras. Lysandre la dépassait allègrement de deux têtes et pendant l’été on aurait dit qu’on l’avait mis dans une machine à étirer la guimauve tant il avait grandi d’un seul coup.

Lysandre leva les yeux au ciel sous les reproches de Jeanne. Effectivement il ne s’était pas trouvé au bon endroit pour avoir l’information dont il aurait eu besoin, mais il n’y pouvait rien si son emploi du temps était aussi blindé ! Enfin si, c’était sa faute et celle de la sévérité des profs.

« Oui, bah j’étais collé par Fillarius, j’y suis pour rien ! »


En plus c’est vrai, pour une fois il n’y avait été pour rien, des Cycna l’avaient fait accuser à leur place mais le Professeur de Magie Défensive ne l’avait pas cru, pour toutes les autres fois où il avait fait porter le chapeau à quelqu’un d’autre.

Que Merlin aie le premier rôle ne le surprenait pas. Granville lui avait dit que s’il ne se calmait pas il lui passerait sous le nez, et bien voilà, c’était arrivé ! Bon, puis remplaçant c’était pas si mal, au pire un peu de goutte du mort-vivant dans la potion de Merlin et ce serait réglé en deux temps, trois mouvements.

« Ah ouais ? P’tain, j’espère que le rôle que j’ai est pas trop nul et que j’ai pas à jouer un gnome parce que franchement, je vais être blasé ! »


Il se souvenait que le protagoniste devait embrasser l’héroïne dans la scène finale par contre et il était écœuré que ce soit Merlin.

« Franchement, un gay comme lui embrasser une fille comme toi, c’est donner du lard aux cochons ! »
dit-il quand elle lui fît remarquer que comme ça il n’aurait pas à l’embrasser.

« Puis attend, on en sait rien hein ! Si ça se trouve, il va être malade avec un truc contagieux et tout ! Bah moi au moins j’en profiterai alors que lui chuis sûr que ça va le dégouter ! »


Puis elle lui fît remarquer qu’il avait encore grandi, effectivement il avait eu une poussée de croissance fulgurante pendant les vacances.

« Ouais ouais, j’vais essayer d’y penser. Toi par contre tu devrais y songer ! »
Dit-il en ébouriffant sa crinière de lionne.
En même temps sa petite taille lui allait très bien, lui la trouvait trop mignonne et de toutes façons tout ce qui avait trait à Jeanne, il le trouvait mignon, même ce que les autres trouvaient ridicules, au contraire. Elle avait ce petit style qui faisait toute la différence pour lui !

« Alors ça y est ? T’as pris les mesures de mon corps d’Apollon ? Et sinon, qu’est-ce que je peux faire d’autre pour toi, Princesse ? T’auras besoin d’aide pour fabriquer des décors aussi ? »

C’était l’affaire de tous mais Jeanne étant clairement celle qui avait le goût artistique le plus sûr, ils se référaient tous à elle pour la construction de leur espace sur la scène. L’année passée elle avait réussi à transformer la salle de théâtre en banquise géante, c’était déroutant, dépaysant et franchement génial !

Ils parlèrent des décors et Lysandre remonta le télescope qu’il était en train de nettoyer en faisant en sorte de bien tout remettre à la bonne place. En temps normal il se serait amusé à inverser quelques lentilles, mais là il valait mieux pour ses fesses et pour les décors qu’il se tienne un peu tranquille.

« Ouais, j’ai encore 3 semaines de colle à faire après c’est fini, tu pourras disposer de moi comme tu le souhaites ! Ce soir ça commence qu’à 21h de toutes façons, donc je pourrais t’aider à 17h. »
lui dit-il en souriant.

« Je serais sage promis, j’ai pas envie qu’on ait des décors pourris. »


Quand il reverrait cette scène dans quelques années, Lysandre rirait sans doute de ses manières. Mais imaginer Merlin embrasser Jeanne le rendait vert de jalousie ! En même temps, il n’avait pas eu le rôle du troisième prince à cause de sa conduite donc il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même.
Il reconsidéra la jeune fille et lui sourit tendrement.

« Personne d’autre que toi pouvait faire Thallula. »

Mais n’empêche que c’était cuisant. Louper le premier rôle + une occasion inespérée de passer du temps à répéter avec Jeanne ! Enfin, au moins il pourrait faire les décors avec elle et Merlin n’avait pas intérêt à s’immiscer cette fois. Plutôt mourir que de lui prêter des bonnes intentions.

Le contact de sa main sur sa joue l'émoustilla et pour masquer sa gêne, il fît comme d'habitude : le pitre en ébouriffant sa crinière blonde. Lysandre n'était pas insensible à Jeanne mais il était gauche avec elle, incapable de lui dire un truc sans se sentir complètement idiot, en même temps elle était tellement belle et tellement douée en tout ... Elle les mettait tous à l'amende au théâtre et à la musique ... Le mieux qu'il pouvait faire en réalité c'était de s'estimer heureux de pouvoir passer du temps avec elle.

"Fait gaffe !" Lui dit-il quand elle se cogna avant de descendre les escaliers, comme d'habitude en sautillant.

"Ouais ! 17h !" cria t'il alors qu'elle disparaissait dans l'escalier.

Maintenant qu'elle était partie, Lysandre pouvait cesser d'être en représentation et donna un coup de pied rageur dans son sac. Il était contrarié de ne pas avoir eu le premier rôle pour la pièce, oui, certes. Mais il l'était encore plus parce que Merlin embrasserait Jeanne et à cette simple vision il se sentit malade de jalousie.

Et quoi d'abord ? Cette fille le rendait dingue quand elle était là. Avec ses rire, sa manière de marcher en faisant des petits bonds, en plus elle l'avait touché, deux fois et puis ??? Il avait juste eu envie de la prendre dans ses bras pour lui faire un câlin. Il avait tout de même réussi à lui faire un compliment, mais il s'était senti idiot sur le coup n'avait pas pu s'empêcher de faire et dire une connerie ensuite.

Il se remit à son télescope, mais il avait du mal à reprendre ses esprits et à ne pas se sentir nul.